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Building : une satire drôlement bien menée du travail en entreprise

  • Écrit par : Xavier Paquet

buildingPar Xavier Paquet - Lagrandeparade.com.com/ Il faut déjà avoir un petit grain de folie pour se dire qu’on va aller voir une pièce sur le travail après le travail : entendre parler de management, de réunions, de conflits, le tout saupoudré de quelques anglicismes, après des heures de labeur ? Pourtant cette pièce résonnera avec délice aux affres de votre journée et mettra en exergue tout ce qui est exécrable dans nos quotidiens.

Au-delà d’être une pièce, c’est un moment de vie, un moment de partage et de connivence entre public et comédiens, c’est un théâtre engagé et expérimental.

Building c’est d’abord être convié au pot annuel de Consulting Conseil, un groupe qui conseille les conseillers et coache les coachs, c’est être accueilli de manière immersive par les employés, c’est être harangué comme un actionnaire par sa PDG qui se félicite de l’année écoulée et donne de belles perspectives pour la suivante. Mais Building c’est surtout une utilisation du réel pour en détricoter le ressort comique par le prisme de l’absurde : une mise en abîme de nos entreprises et de leur mode de management à travers une galerie de personnages et de saynètes, toutes plus vraies que nature. Des hôtes d’accueil au manager, de la chargée d’entretien à la responsable RH, de la directrice au comptable, toute typologie d’employés est représentée, disséquée, croquée avec fantaisie et acidité sous des portraits et situations corrosifs mais terriblement drôles.

L’écriture est vive, instinctive, d’une terrible réalité : elle modèle avec originalité et poésie cette galerie de personnages, elle fait vivre leurs émotions et leurs névroses, elle déroule jusqu’à l’absurde la construction dramatique de ces vies. Chacun vrille et évolue de manière bestiale au gré des tourments causés par le monde du travail.

Pour porter ce texte, il faut de la puissance et de la sincérité et la Compagnie de la Trappe n’en manque pas : l’ensemble est porté par une équipe jeune et dynamique, qui alterne le rythme effréné à l’envie et la lenteur de la douleur personnelle, le jeu est tantôt intérieur tantôt poussé à l’extrême pour extraire le comique ou le tragique de la situation. La direction d’acteurs met en valeur l’énergie et les nuances avec des changements d’états réguliers qui apportent de la profondeur à la première couche.

La scénographie mise sur un décor dépouillé qui rend l’ensemble impersonnel mais permet de rendre le propos universel et à chacun de se projeter pour se confronter à ce réel déroutant. Quelques petites touches amènent de la consistance (la cantine) et de la fantaisie (la séance décalée de brainstorming) mais l’originalité réside dans l’utilisation astucieuse de la vidéo où projection et réalité se rejoignent avec ingéniosité et efficacité.

Cette version de Building décrypte et décode à merveille la folie ordinaire de l’entreprise, la dégénérescence de celle-ci où bienveillance rime avec rentabilité, où chacun s’écrase comme un pigeon sur une vitre, où l’humain se réduit progressivement jusqu’à faire rejaillir la part animale et primitive en chaque employé.
La satire est dure mais juste et au cœur de nos sociétés, l’humain et son bien-être professionnel sont une problématique qui n’est pas traitée au-delà des mots et aboutit à leur effacement, à leur perte de croyances, à leur dégradation mentale jusqu’à leur perte de repères et d’identité.
Derrière la façade professionnelle se cache une personnalité et une sensibilité négligées ; derrière le rire de la pièce se cachent une profonde réflexion et introspection.

Building
Auteur : Léonore Confino
Avec Audrey Smadja Iritz, Théo Pagnon, Laure Fass, Thomas Lenczner, Kim-Anne Delaby, Cindy Fonseca, Estelle Chevalier
Metteur en scène : Audrey Smadja Iritz

Dates et lieux des représentations: 

- Le 11 février 2024 au Théâtre du Gouvernail ( 5 Passage de Thionville, 75019 Paris)


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