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Nanni Moretti en plan fixe au théâtre

  • Écrit par : Guillaume Chérel

morettiPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Son dernier film, « Vers un avenir radieux », a fait sensation au Festival de Cannes. Après cinquante ans de carrière au cinéma, Nanni Moretti fait ses débuts comme metteur en scène de théâtre, avec « Diari d’Amore » (jour d’amour), adapté d’une pièce de Natalia Ginzburg, figure de la littérature italienne : « Une écrivaine qui n’était pas amoureuse de son propre style », dit-il, lui qui a lu à plusieurs reprises ses œuvres en public. Les deux pièce regroupées dans Diari d’Amore racontent des histoires de couple d’hommes et de femmes qui vivent dans une forme d’indifférence aux autres et à eux-mêmes.

« Avec Nanni Moretti on tâtonne, un peu comme si on était au théâtre », disait, en 2021, l’actrice Margherita Buy pour décrire le travail avec le cinéaste italien sur les plateaux de tournage. Auréolé de nombreux prix internationaux (dont une Palme d’or à Cannes en 2001 pour La chambre du fils) Nanni Moretti pose la caméra pour mettre en scène cinq comédiennes et comédiens dans deux pièces écrites par une autrice qui lui est chère.

On ne sera donc pas étonné que le premier tableau soit quasiment un plan fixe de cinéma en une prise. Un couple de bourgeois, qui vit au-dessus de ses moyens, manifestement, se réveille lentement dans le lit conjugal. Ils parlent, parlent, parlent… De petites chose anodines, apparemment, et/ou mesquines, a priori, puis peu à peu la nature égocentrique du mari se fait jour. Ecrivain raté, lui-même, il ne fait que rabaisser son épouse, laquelle parle beaucoup d’argent et ne s’intéresse pas beaucoup à sa fille. On le croit dominant, ce faux macho misogyne, jusqu’à ce qu’elle lui annonce qu’elle songe à le quitter. Alors, les rôles s’inversent. Lui, si mordant, devient pathétique.

Le pièce est jouée en italien, avec sous-titres, placés en hauteur, au lieu d’être en bas, comme dans un film, ce qui est un peu gênant au début, puis on s’y fait. Nanni Morretti, qu’on a cru être le Woody Allen italien, nous plonge dans le néant de (certaines… trop nombreuses) vies conjugales. C’est parfois drôle mais surtout acide. Les actrices sont parfaites et le mari, joué par Valerio Binasco, représente bien le patriarcat. Il s’agit bel et bien d’une critique acerbe du modèle de vie bourgeois, basé sur les apparences, la tromperie et l’hypocrisie. Comédie ou tragédie ? Commedia d’el Arte… ça devrait. Sauf que Nanni Moretti semble oublier que le théâtre est un spectacle vivant. Ou alors il se prend pour Ingmar Bergman. Le texte, excellement joué, par la troupe italienne, est si irritant que le côté statique devient exaspérant. On a envie que le couple se lève du lit et s’écharpe. Au moins il se passerait quelque chose.

La deuxième et dernière partie est plus mouvante (Fragola e panna, qui date de 1966), si l’on peut dire. Une jeune femme débarque dans une belle demeure isolée, à la campagne, en plein hiver, et demande à parler à son cousin avocat. Elle est reçue par la servante, qui se dit domestique depuis l’âge de dix-sept ans. Elle aussi parle, parle, parle (que ces italiens sont bavards !) mais on apprend plein de choses, par le menu, jusqu’à la glace à la vanille qu’elle aime manger avec des fraises. Ainsi, l’employée de maison explique dans un monologue qu'elle s’ennuie à mourir dans cette baraque, sans enfant, où personne ne lui dit si ce qu’elle fait est bien. Lorsqu’elle apprend que la petite a quitté son mai violent, elle la prend sous son aile. Au contraire de la maîtresse de maison qui n’a qu’une envie, c’est qu’elle s’en aille (aucun sentiment de sororité, même si elle a des remords). Il faut dire que la jeune femme est la dernière amante de son mari volage… Nous ne sommes pas chez Feydeau, les portes et les placards ne claquent pas. On s’écoute parler. Geindre. On se trouve des excuses pour tout.

Répétons-le, les actrices sont formidables : elles (et il) se démènent comme ils peuvent. Le texte de Natalia Ginzburg prend sa signification après coup (la marque des grand.e.s). Ces petits bourgeois sont minables. Il en résulte un sentiment de malaise. La mise en scène manque un peu de peps. C’est froid. Malgré les volutes de cigarettes. Sur ce point, ça sent les années 70. L’âge de Nanni Moretti.

Diari d’amore
Texte : Natalia Ginzburg
Mise en scène : Nanni Moretti

Avec Valerio Binasco, Daria Deflorian, Alessia Giuliani, Arianna Pozzoli, Giorgia Senesi
Scénographie : Sergio Tramonti
Lumière : Pasquale Mari
Costumes : Silvia Segoloni
Assistanat à la mise en scène : Martina Badiluzzi
Directrice de production : Gaia Silvestrini
Diffusion : Aldo Miguel Grompone
Spectacle en collaboration avec l’Institut Culturel Italien de Lyon iiclione.esteri.it
Production : Compagnie Carnezzeria
Coproduction : Teatro Stabile di Torino – Teatro Nazionale ; Teatro Stabile di Napoli — Teatro Nazionale ; ERT Emilia Romagna Teatro — Teatro Nazionale ; LAC Lugano ; Châteauvallon-Liberté, scène nationale ; TNP Villeurbanne Lyon ; La Criée – Théâtre National de Marseille, Maison de la Culture de Amiens.

Dates et lieux des représentations: 

- En décembre 2023 à la Criée - Marseille.

- Du jeu. 25/01/24 au ven. 26/01/24 - Maison de la Culture d'Amiens - Tel. +33 (0)3 22 97 79 77

- Du jeu. 06/06/24 au dim. 16/06/24 - Athénée Théâtre Louis-Jouvet - Paris -  Tel. +33 (0)1 53 05 19 19


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