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Hugo Paviot : "le travail de l’auteur est comme un paratonnerre qui attire la foudre et la redistribue sous forme d’une énergie émotionnelle dont s’empare le public"

  • Écrit par : Julie Cadilhac

TrilogiePar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ La Trilogie d’Alexandre narre, en trois volets, l’histoire d’un homme dont le père a été coupable de crimes de guerre durant « les évènements » d’Algérie (Les Culs de plomb), dont la mère espagnole est nostalgique de la dictature nationale catholique franquiste (La Mante) et qui tente de se construire « entre les creux laissés par les non-dits familiaux ».

Peintre, il essaie comme il peut de surmonter ses démons intérieurs. Les zones d’ombres du passé ressurgissent au fur et à mesure et il y fait face comme il peut. Dans Vivre, le dernier volet de la trilogie, il part en voyage au Moyen-Orient et se trouve confronté à l’attentat suicide - qui échoue- d’une enfant de huit ans. Au péril de sa vie, il part à sa recherche afin de la ramener en France…une manière de prendre en main sa destinée.
Nous avions vu, en juillet 2017, le second volet, "La Mante", au Festival d'Avignon Off et avions été séduits par la poésie et l’intelligence du texte autant que par la puissance de la mise en scène, épurée et qui faisait ressurgir grâce à la qualité du jeu des comédiens des fantômes et des angoisses existentielles bouleversantes.
Rencontre avec l’auteur et metteur en scène de cette trilogie qui nous convie à « un formidable voyage au coeur de l’âme humaine et du subconscient. »

Quelle a été la genèse de cette trilogie? (Était-ce d’ailleurs, dès le départ, une trilogie?)

Le projet a été d’emblée d’écrire une trilogie dont les trois volets pourraient s’appréhender à la fois comme une suite, ou indépendamment l’un de l’autre. L’œuvre interroge les rapports existant entre la violence commise et subie dans la sphère privée et la violence historique, celle des conflits à l’échelle des nations. Ces deux violences se provoquent indéfiniment l’une l’autre. Pourtant, on ne les met pas souvent en relation. Dans son ensemble, la trilogie accompagne le combat d’Alexandre : comprendre sa violence intérieure (Les Culs de plomb) ; lui faire face (La Mante) ; la dépasser enfin, et la transformer en un engagement politique ou citoyen en faveur de la paix (Vivre).

Vous êtes-vous documenté pour écrire ces trois volets? Et à partir de quels types de documents? Êtes-vous plutôt parti de témoignages particuliers? d'archives sur des familles?

J’ai effectué un important travail de documentation : j’ai lu beaucoup de livres d’histoire et visionné aussi beaucoup de films documentaires traitant de la guerre d’Algérie, de la guerre d’Espagne et des conflits plus actuels au Moyen-Orient. J’ai interrogé des acteurs ayant eu à subir ces conflits, je me suis nourri également de l’histoire de ma propre famille. Plus généralement, je me suis documenté sur la notion de filiation, en particulier celle des enfants de bourreaux. Comment vivre en étant l’enfant de personnes qui ont choisi le « mauvais côté » ? Existe-t-il un bon et un mauvais côté ? Pour moi, le travail de l’auteur consiste a être en permanence relié au monde : il est comme un paratonnerre qui attire la foudre et la redistribue sous forme d’une énergie émotionnelle dont s’empare le public.

[bt_quote style="default" width="0"]Pour moi, le travail de l’auteur consiste a être en permanence relié au monde : il est comme un paratonnerre qui attire la foudre et la redistribue sous forme d’une énergie émotionnelle dont s’empare le public. [/bt_quote]

Y a-t-il une œuvre picturale, cinématographique, littéraire qui vous ait servi de « mentor » ?

Il n’y en pas une en particulier mais une infinité.

Vous avez choisi un père et une mère qui ont « failli » au cœur de l’Histoire. Avez-vous songé à explorer l’histoire d’un personnage dont les parents seraient des « héros » de l’Histoire ou du moins auraient été du « bon côté » ?

On estime à environ 2 % de la population, par exemple, les résistants actifs durant la Seconde Guerre mondiale. La majorité a été soit passive – cela dit sans jugement a priori – soit collaborationniste. Parler d’un enfant de 98 % de la population me paraît d’évidence plus universel. Et puis, il est plus difficile de trouver des témoignages de héros, parce que, en général, ils ne s’en vantent pas. Ainsi, souvent, les enfants de « héros » ne savent pas que leurs parents ont été des « héros ».

Dans La Mante, Alexandre apparaît brisé, incapable d’avancer, prisonnier de ses obsessions artistiques, amoureuses… Le dernier volet se veut-il être un souffle d’espoir? Comment l’avez-vous imaginé : Alexandre retrouve son humanité en essayant de participer enfin à l’Histoire ? De ne plus seulement la subir ? En réparant d’une certaine manière les fautes de ses parents ?

Je ne crois pas qu’on puisse réparer les fautes de ses parents, en revanche on peut se réparer, soi. C’est le chemin d’Alexandre, à contre-sens de nos sociétés individualistes qui érigent la loi du plus fort en modèle : se délester de la violence héritée de ses aïeux et du monde, afin d’être capable d’empathie envers lui-même et envers les autres.

Vous êtes aussi le metteur en scène de cette trilogie. Pourquoi? Est-ce qu’il y a déjà dans votre écriture une vision du plateau et donc une difficulté à imaginer que ce soit un autre qui orchestre cela ?

L’écriture du texte et au plateau ont été étroitement imbriquées. La mise en scène des Culs de plomb a, autant que le texte, influencé l’écriture du texte puis de la mise en scène de La Mante, et cela est aussi vrai pour l’influence des deux premiers volets sur le troisième, Vivre. Il s’agit en fait de six écritures qui, au total, m’ont demandé près de dix ans de travail. S’agissant dès la genèse d’une œuvre en perpétuelle construction, dont moi seul connaissais l’aboutissement, il ne pouvait y avoir que moi pour la réaliser. De plus, l’écriture est frontale, les sujets sont difficiles et le parti pris de mise en scène épuré et radical. Ce qui n’a pas facilité la production des spectacles. Le fait d’être avant tout un auteur qui construit une œuvre, sans concessions, m’a permis d’aller au bout et d’ainsi soutenir le metteur en scène qui parfois, aurait pu se décourager. Mais j’écris aussi des pièces que je ne monte pas, et je serais très curieux à l’avenir si un autre metteur en scène s’emparait de La Trilogie d’Alexandre. Il serait en présence d’une œuvre aboutie et non en construction, et pourrait ainsi y confronter son point de vue. Tout cela est vivant, c’est la magie du théâtre.

Il y avait quelque chose de très pictural dans les jeux de lumière de La Mante, le choix des costumes, le positionnement des comédiens… Avez-vous gardé cela dans les trois volets puisqu’Alexandre est peintre ?

Dans les trois volets, les créations lumières et musicales sont essentielles. Dans une mise en scène plateau nu, la lumière et le son constituent la scénographie et deviennent de véritables partenaires de jeu pour les comédiens. Je suis très exigeant à ce niveau-là : pour moi, une musique ou une lumière illustratives n’ont pas d’intérêt. Elles doivent être en permanence porteuses de sens.

Enfin, on peut lire que cette Trilogie d’Alexandre, c’est «une véritable tragédie moderne sur la mémoire ». Si c’est une tragédie, peut-on y échapper ? Dans ce cas, Vivre finit-il bien, somme toute ?

Je ne crois pas au destin. Nous sommes certes « prédestinés à », mais il n’y a pas de fatalité. Jules Renard disait : « Le bonheur, c’est de le chercher. » Alexandre, en cherchant, est pleinement vivant. En cela, le chemin, et non l’issue, est positif. Par contre, le monde, lui, va de plus en plus mal. C’est finalement le sujet de la trilogie : comment aller mieux dans un monde qui va moins bien ?

LA TRILOGIE D'ALEXANDRE
LES CULS DE PLOMB, LA MANTE, VIVRE (CRÉATION)
Cie Les Piqueurs de Glingues
Textes et mises en scène : Hugo Paviot

Avec David Arribe ( Alexandre)

Dates et lieux des représentations : 

Au Théâtre Jean Vilar - Vitry sur Seine ( Navette AR depuis Châtelet vendredi et samedi, départ 1h avant le spectacle à l'angle de la place du Châtelet et du Sarah Bernhardt ) 

- Vendredi 21 avril 2017 20h : Les Culs de plomb
- Samedi 22 avril 2017 19h30 : La Mante
- Dimanche 23 avril 2017  : l'intégrale
Les culs de plomb : 13h (1h30)
La Mante : 15h30 (1h25)
Vivre (création) : 17h30 (1h)

- Vivre : 7 > 30 juillet 2017 , Présence Pasteur | Avignon Off
- Vivre : le 7 décembre 2017 , Théâtre du Péglé | Mont-de-Marsan
- La Mante : Le 1er décembre, ECAM |Théâtre du Kremlin-Bicêtre

Crédit-photo: Xavier Cantat


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