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Théâtre : Georges Lavaudant électrise Feydeau à l’Odéon

  • Écrit par : Guillaume Chérel

Hotel FeydeauPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Voilà non pas une, ni deux, ni trois… mais quatre pièces de Georges Feydeau modernisées, d’un seul tenant, par un autre Georges, Lavaudant. Lequel fête son retour au Théâtre National de l’Odéon (qu’il dirigea de 1996 à 2007) en donnant un véritable feu d’artifice coloré et mis en musique avec peps et maestria : "Léonie est en avance" ; "Mais ne te promène donc pas toute nue" ; "Feu la mère de madame" et "On purge bébé !" Les dernières comédies écrites par le maître du Vaudeville à la fin de sa carrière.
"Hôtel Feydeau" séduit par le jeu excellent de toute la distribution et la scénographie rythmée et audacieuse d’un metteur en scène qui sait se renouveler et surprendre. Or donc, Lavaudant nous propose quelques variations d’une drôlerie sauvage sur le couple bourgeois des années 1900 : un vrai jeu de massacre. Plus noir que Labiche, plus féroce que jamais, les deux Georges y détaillent les étapes menant de la première grossesse jusqu’aux ultimes soubresauts des unions en déconfiture. Sujet que Feydeau connaissait bien puisqu’il quitta le domicile conjugal lors de l’écriture d’une de ces quatre pièces.  
Georges Lavaudant suggère une traversée hilarante, et limite pop art acidulé, entre cauchemar et haute voltige verbale : il s’agit de la lutte pour le pouvoir entre l’homme et la femme, mais aussi enfant contre parent, domestiques contre maître : tous contre tous et chacun pour… Nous ! Car le public jubile sans avoir le temps de respirer : « Ah ! non ! tu ne vas pas vomir! je ne t’ai pas épousé pour ça ! », dit le mari noceur, déguisé en Louis XIV (Feu la mère de madame ) tandis que sa femme défaille quand on lui apprend (par erreur) que sa mère est morte, alors que deux minutes avant elle lui montrait ses seins qu’il ose critiquer, en comparaison avec une modèle… Quelques mois plus tard, en septembre 1909, Feydeau quitte le domicile conjugal pour prendre ses appartements à l’hôtel Terminus, ce qui avait le mérite de la clarté.
C’est donc au Terminus que Feydeau achève son dernier cycle théâtral, visiblement inspiré par la crise de son couple, répétons-le : cinq variations en un acte sur la guerre éternelle qui sévit dans certaines intimités matrimoniales. On y croise, entre autres, des pots de chambre de toutes tailles, une épouse piquée sur la croupe par une guêpe qui réclame qu’on lui… suce le venin ; Georges Clemenceau (hors champ), un macaroni agressif et toutes sortes de maux d’estomac, dont « l’entérite relâchée ». Feydeau songea à les réunir lui-même sous un titre générique : Du mariage au divorce. La maladie ne le lui permit pas.
Georges Lavaudant a déjà brillamment prouvé son amour du vaudeville. Une première fois du côté de Labiche, avec "Un Chapeau de paille d’Italie" (TNP, 1993). Puis du côté de Feydeau, avec "Un Fil à la patte" (Odéon, 2001). Plutôt que présenter l’intégralité de ses dernières comédies, il en a tiré les éléments d’une traversée rapide de cet univers crépusculaire, mêlant à des extraits des pièces citées divers autres fragments, dont le début d’une comédie inachevée. On peut anticiper un grand numéro de cirque cauchemardesque : très provocateur, très spirituel, entre clownerie à la manière noire et haute voltige verbale. Une danse à couteaux tirés entre adversaires irréconciliables : homme contre femme, enfant contre parents, maîtres contre domestiques – tous contre tous et sauve qui peut. Un vrai feu d’artifice, joué par deux générations d’acteurs et d’actrices qui se complètent bien, et qui plaira aux jeunes et aux moins jeunes, au sein d’une illustre institution. Un cadre magnifique : le sublime théâtre de l’Odéon, bref une soirée réjouissante en perspective, mise en musique par Jean-Pierre Vergier!

Hôtel Feydeau, d’après Georges Feydeau

Mise en scène de Georges Lavaudant (dramaturgie : Daniel Loaya), avec Gilles Arbona, Astrid Bas, Lou Chauvin, Benoît Hamon, Manuel Le Lièvre, André Marcon, Grâce Seri, Tatiana Spikakoav.

© Thierry Depagne

- Jusqu'au 12 février 2017 à L’Odéon-Théâtre de l’Europe : Place de l'Odéon, 75006 Paris. Tel : 01 44 85 40 40

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