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L’obsolescence programmée de nos sentiments : une goutte d’optimisme tendre dans un océan de solitudes quotidiennes

ZidrouPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ C’est une histoire qui fait du bien. Une histoire qui balaye d’un coup de crayon aussi sensible qu’inspiré les habitudes narratives avec - justement! - des personnages du commun, ni héros ni criminel, au quotidien banal et dont le hasard provoque la rencontre fortuite. Et l’amour auquel ils s’interdisaient de croire - au vu de la date de péremption dépassée que tous ceux qui les entourent leur accordait - leur tombe dessus comme un miracle.

Lui, c’est Ulysse. Il a toujours tout fait avant les autres, même perdre sa femme, même partir à la retraite. Et il a une grande aversion pour les livres à force d’en avoir trop portés dans des cartons de déménagement. Elle, c’est Méditerranée. Un temps mannequin, elle a troqué le chic des magazines pour des caves humides où trônent de délicieux fromages à chouchouter. 

[bt_quote style="default" width="0"]Ne pas leur dire, surtout, qu'en fait, c'est le temps qui vous prend petit à petit comme la marée, cruelle, ronge la falaise."[/bt_quote] 

Avec cette émouvante idylle de deux sexagénaires, Zidrou ( au scénario) et Aimée de Jongh ( au dessin) offrent une parenthèse de lecture attrayante. Louons d’abord le dessin, enveloppant et familier, qui sait rendre avec pertinence l’émotion de chaque scène ( on aime particulièrement les pages consacrées à l’observation du corps de Méditerranée ( le choix du gaufrier, de la colorimétrie, des plans..) ou encore celles où le « jeune » couple fait l’amour pour la première fois, tourbillonnante de douceur…). Applaudissons ensuite la prose aussi juste que poétique des récitatifs et des dialogues, la sempiternelle capacité de Zidrou à créer des personnages attachants ( on pense notamment à l'aussi formidable "Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc reprisait ses chaussettes?) et sa profonde humanité qui transparaît derrière l’invitation implicite à la tolérance et à l’empathie envers l'Autre, et d'autant plus encore pour ceux qui ont des parcours différents de la majorité des hommes. Ici l’altruisme invite le jugement à se taire ; l’anecdote choisie à observer mieux - ou en tous cas différemment - tous ceux que la perception de leur âge flétrit davantage que le temps lui-même. Qui décide au final de notre obsolescence?

Une histoire ciselée à l’espoir et à l’optimisme à offrir à tous ceux qu’on aime et qui, parfois, aussi bêtement qu’humainement, doutent d’eux et d’un possible meilleur avenir. Une bouleversante réflexion sur le temps, celui qui glisse trop vite dans le sablier de notre vie, laisse insidieusement son empreinte, jour après jour, sur notre corps et tenaille notre esprit " par à-coups, par révélations douloureuses, par effrois successifs" mais aussi celui qui s'étire terriblement parce qu'on ne l'a pas choisi, celui de la retraite qu'on vous anticipe, des deuils qui vous laissent seul(e)...et qu'il faut apprendre à reconquérir vaillamment pour que le temps ne soit pas une fatalité mais un océan immense que nous avons tous le droit d'admirer de loin, de mettre à distance avec auto-dérision pour être heureux encore...avant qu'il nous emporte. 

L’obsolescence programmée de nos sentiments
Editions : Dargaud
Scénario : Zidrou
Dessin : Aimée de Jongh
Parution : 1 juin 2018
144 pages
Prix : 19,99€

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