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My secret garden : Falk Richter sous les lumières soyeuses de Christophe Mazet

My secret gardenPar Bruno Paternot - Lagrandeparade.fr/ La compagnie V-2 Schneider présentait cette semaine au théâtre Jean Vilar sa dernière création : My secret garden. Après plusieurs versions « réduites » voici le texte de Falk Richter présenté en intégralité avec respect, cohérence et exigence.

Ce qui est le plus frappant dans ce projet et peut-être l’exigence avec laquelle il est porté par toute l’équipe de création. Si l’auteur risque une pièce longue (deux heures) dont la moitié est composée d’un très long monologue, le metteur en scène emboîte le pas et accentue les spécificités du texte. Ceux qui reprocheront à Richter d'être bavard et inutile en seront pour leurs frais, ceux qui trouveront qu’il utilise les artifices du théâtre à bon escient pour trouver -ou tout du moins chercher- la véracité du monde applaudiront des deux mains.

Encastré derrière un magnifique mur de lumière (nous sommes à Berlin, suivez mon regard), le personnage principal, qui figure ici l’homme blanc hétérosexuel dans la pleine force de l’âge, celui qui est donc censé être dominant, nous raconte son incapacité à. Incapacité à être, incapacité à agir, incapacité à se révolter, incapacité à voir la vie du côté béat. Stéphane Laudier immobilise son personnage handicapé de la vie pour qu’il balance à la face du monde tout ce qu’il a sur le cœur pendant près d’une heure, sans un geste. Sans un geste, mais ça bouge ! De variations lumineuses en mélismes vocaux, le texte avance molto vivace même si le tempo métronomique imposé par le metteur en scène et le texte est assez lent. Certains spectateurs ne résistent pas et clignent des yeux, il est vrai qu’il est tard et que la langue de Richter, âpre et quotidienne, ne fait pas dans l’exaltation.   

A l’exigence et l’austérité de la mise en scène répondent la magnificence et l’aération des lumières de Christophe Mazet. L’esthétique enrobante de ses lumières soyeuses est notre point d’accroche, notre liberté, notre échappatoire dans un spectacle qui nous assomme volontairement. Enrobante et précise, peut-être des adjectifs qui conviendraient aussi à la performance de Jean-Marc Bourg, performeur du verbe, véritable maître de la parole. Il versifie la prose, la chante, la psalmodie, tout en réussissant l’exploit incroyable de rester concret, quotidien, réaliste. Quel plaisir de voir sur scène un trio de comédiens au plus fort de leur travail, de leur art. Vanessa Liautey, qui incarne la figure féminine, la figure de la jeunesse (voire la figure de la jeunesse féminine) est d’une justesse impeccable dans son humour involontaire. Chez Richter, les situations sont tellement poussées qu’elles en deviennent pathétiques et donc drôles. Encore faut-il trouver la sincérité et la justesse du pathétique, ce qui n’est pas toujours aisé et que la comédienne choppe pile au bon moment. De son côté, Fanny Rudelle incarne la Colère avec toute le stentor que nécessite cette allégorie. Elle aussi contient et maintient, fait le liant parfait entre la précision de Bourg et la simplicité de Liautey. Pendant deux heures, le thermostat monte, la soupape fume et le texte sort, par logorrhées incontrôlées et impuissantes. Le spectacle nous dit qu’il ne dit rien parce qu’il n’y a plus rien à dire, d’ailleurs le personnage principal peine à titrer sa pièce. Le texte nous force à nous interroger sur ce constat, que beaucoup de gens partagent depuis 2008 et les crises successives du capitalisme déclinant. Et l’on reste encore sidéré d’arriver à rire de tout, y compris de l’effondrement constant et sans alternatives (dit-on) de notre civilisation. Cette pente irréversible, l’immobilité des personnages, le dessin des lumières… tous ces éléments tissent des liens avec le 4’48 Psychose qu’avait monté Regy il y a une dizaine d’année et qui déjà nous parlait déjà de personnages incapables d’agir.

Quand ils se déplacent, les acteurs vont d’un point A à un point B et prennent la place les uns des autres dans une grande écriture des déplacements, signé de la chorégraphe Emmanuelle Vo-Dinh. Chacun sa place de petit pion sur le jeu d’échec. Si je te mange, c’est à cause des déplacements du fou ou de la reine, pas de mon fait. « Tout cela n’est pas de ma faute » pourrait être le titre de la pièce. Cela, c’est nous, c’est moi, c’est aujourd’hui. Le théâtre contemporain nous parle d’aujourd’hui. Espérons que cette production connaitra une vie longue afin que nous ayons la possibilité de la revoir dans trente ans, rien que pour voir ce que nous serons devenus.  

My secret garden

De Falk Richter - Traduit par Anne Monfort (©L’Arche Editeur)
Mise en scène : Stéphane Laudier


Chorégraphie : Emmanuelle Vo-Dinh
 / Dispositif scénique : Stéphane Laudier / 
Lumières : Christophe Mazet / 
Costumes : Marie Delphin
Avec : Jean-Marc Bourg, Fanny Rudelle, Vanessa Liautey

Crédit-Photo : Marc Ginot

Dates de représentation:

- Les 10 et 11 mars 2016 au Théâtre Jean Vilar ( Montpellier 34)

- Le 1er avril 2016 au Théâtre de Marvejols

- Les 12 et 13 avril 2016 à la Scène Nationale de Narbonne ( 11)

 

 

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