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Tempête sous un crâne: les talentueux Misérables de Jean Bellorini

  • Écrit par : Julie Cadilhac

TEmpête sous un crânePar Julie Cadilhac- Lagrandeparade.fr/ crédit-photo: Marie Clauzade/ Rouge. Cette couleur, omniprésente sur le plateau, symbolise avec simplicité tous les grands thèmes des Misérables. L'amour d'abord: chrétien pour l'Homme d' église qui protège le vol d'argenterie de l'ancien bagnard, pudique mais passionné pour Marius et Cosette, maternel pour Fantine, "paternel" pour Jean Valjean, patriotique enfin derrière chaque syllabe polémique de l'auteur exilé. Le sang ensuite qui éclabousse trop souvent la vie des pauvres hères que décrit Hugo. La révolution qui gronde sur les barricades. La vie qui palpite et se débat dans tous ces corps malheureux. Et puis on croise le Bleu aussi. Bleu froid, bleu pur, bleu fraîcheur. Bleu Gavroche. Bleu Cosette. Jaune. Idéal, mal aimé. Jaune traître. Jaune Eponine.
Tempête sous un crâne est un spectacle lumineux car "éclairé". L'intelligence de sa mise en scène, qui a épuré presque à l'extrême le décor - un arbre sec trône en fond de scène ( clin d'oeil à Beckett et son Godot), les effets de lumière sont le seul vêtement du plateau- et qui ne donne que cinq interprètes à ce long roman - riche en personnages et en aventures infortunées-, laisse toute la gloire aux mots. Ce sont eux que l'on entend: cinq formidables comédiens n'utilisent qu'un seul artifice: le Verbe Hugolien. Ils n'incarnent pas les personnages: ils sont des aèdes fidèles au texte et n'en trahissent pas un souffle ( une performance de mémorisation à saluer).
Qui sont ces êtres qui empoignent cette histoire à bras le coeur? Personnages modernes, ils occupent l'espace de leur parole ou plutôt de celle d'un grand écrivain qui les emporte dans des frissons d'émotions, qui les transperce et qu'ils se partagent, se prêtent et scandent parfois ensemble aussi.Donnant à voir la misère, cette pièce est pourtant un extraordinaire élan d'optimisme, de vigueur, d'instinct combatif...et la joie de vivre ne disparait jamais tout à fait, même dans les plus grandes infortunes sans doute insufflée par la grisante vigueur et fraîcheur de cette jeune troupe. Derrière les mots, c'est l'hiver. Les écharpes et les bonnets emmitouflent les douleurs intestines, le froid pénètre par les carreaux brisés des fenêtres. La tempête de la vie reste imperturbable face aux injustices et aux cris des indigents. Victor Hugo s'indigne contre l'injustice et les crimes de la loi. Son plaidoyer résonne au travers de multiples voix qui embrassent sa cause. On nous raconte: Jean Valjean reste 19 ans en prison pour le vol d'un pain chaud, Fantine édentée agonise dans la fièvre, Cosette porte son seau d'eau glacée à travers les ombres hostiles de la forêt, Eponine impudique montre son corps décharné, Gavroche bravache traîne dans les rues. La méchanceté des Thénardier cotoie l'abnégation de Monsieur Madeleine. Les lois de la justice humaine contredisent celles du bon sens. Le monde est un contresens absolu. Ce dont nous parle Victor Hugo, l'adaptation de Jean Bellorini et Camille de la Guillonnière le souligne avec brio. Tableaux intimistes alternent avec tableaux épiques, l'on pleure sur la cuisse compatissante de Marius, on brandit le poing avec Gavroche, on frémit devant le visage cupide et intéressé des Thénardier. Ce portrait de la société du XIXème siècle s'achève dans les ténèbres: les Egouts de Paris où Jean Valjean s'enfonce dans la fange humaine, la Seine noire et profonde où Javert se suicide, incapable de supporter sa clémence et sa dérogation à ses principes policiers. Sur le plateau, Geoffroy Rondeau debout sur une chaise de fortune clôt cette fresque humaine. Il incarne l'esprit de cette mise en scène décalée. 3h30 ont défilé et le spectateur reste interdit. Devant lui, cinq gamins ont parié qu'ils lui raconteraient cette histoire de la condition humaine et qu'il se prendrait au jeu, qu'il en verrait chaque épisode avec une précision qui l'étonnerait. Ces lutins espiègles savent le pouvoir du Livre qu'ils ont entre les lèvres.A la fin, ils montrent même le coupable de cette soirée délirante, dénoncé et mis en lumière sous une ampoule. Jean Bellorini a ajouté simplement la puissance lyrique de la musique: Hugo Sablic et Céline Ottria font courir sur les phrases des portées ennivrantes, parfois empreintes de rêverie et de passion, parfois militaires et obsédantes. On n'oubliera pas non plus le concerto pour violons à 10 mains ou encore le chant des partisans sur les barricades.
Un bravo particulier à Camille de la Guillonnière et Clara Mayer qui forment un duo épatant de complicité et de justesse et à l'ensemble de l'équipe qui contribue à ce spectacle de qualité.
Sous une pluie de pétales, à cheval sur une mobylette, cinq grands enfants oublient leur fragilité, poussent le cri ennivrant de la liberté en marche, s'enthousiasment. Tableau réjouissant d'une jeunesse vindicative et consciente des plaies de son monde mais bien décidée à réveiller ses contemporains avec les textes des sages. On court,on court, on court.... derrière un monde défiguré, on chante à tue-tête, on danse, on escalade, on ne devient qu'une seule voix, celle de la Raison, celle de Victor Hugo vieille de 150 ans et pourtant si jeune....

[bt_quote style="default" width="0" author="Victor Hugo, les Misérables"]La gaminerie parisienne est presque une caste. On pourrait dire : n'en est pas qui veut. [/bt_quote]

Tempête sous un crâne
Mise en scène: Jean Bellorini
Avec Mathieu Coblentz, Karyll Elgrichi, Camille de la Guillonnière,Clara Mayer, Céline Ottria, Geoffroy Rondeau, Hugo Sablic
Adaptation: Jean Bellorini et Camille de la Guillonnière
Création musicale: Céline Ottria
Scénographie: Vincent Lefèvre
Durée: 3h30 avec entracte

Dates en 2016:

- Du ven. 11/03/16 au dim. 10/04/16 à Saint-Denis au Théâtre Gérard Philipe - TGP - Tel. +33(0)1 48 13 70 00

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