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Macbettu : une mise en scène tellurique vibrante à la tessiture sémantique jubilatoire

  • Écrit par : Julie Cadilhac

MacbettuPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Dans un espace baigné d'irréalité fantastique où règnent poussière blanche et ombres, murmures désincarnés et percussions d’outre-tombe, surgissent les sorcières… Ces Parques sadiques, Â« langues fétides Â» aux silhouettes informes, gesticulent sur le plateau et jouent sans cesse. Vieilles folles aux imprécations inquiétantes, elles scellent le destin de Macbettu et Banco. « Telle était la musique et telles étaient les paroles. Â»

La soif inextinguible de pouvoir, l’épouse monstrueuse aux conseils démoniaques, poussent Macbettu au premier assassinat. Une fois les mains tâchées de sang, plus de repos pour le tyran, plus d’échappatoire. « Les yeux des hommes sont des lames de poignard Â» pour les traîtres et les rouages impossibles à stopper. Macbettu, le roi qui empile les macchabées comme autant de pierres sur les cairns écossais, est hanté par ses visions…et comme le formule si bien sa femme : « ce qui est fait ne peut être défait. Â» « Le sang appelle le sang Â», loi du talion ancestrale, et la culpabilité ne peut se dissoudre comme la fumée…Il y eut un soir, il n'y eut plus de matin et Macbettu a beau jouer à « Un, deux, trois, Soleil! Â», il est déjà condamné, celui qui a tué le sommeil de ses camarades, à mourir de la main de Macduff, qui n'est pas "né d'une femme". 

Qu’il est prodigieux ce Macbettu, petit chauve trapu à la mine de mafioso qui dégaine aussi vite que son ombre son cran d’arrêt! A ses côtés, Lady Macbeth femme à barbe sculpturale dépassant d’une tête tous les hommes, trouble par son androgynie vampirisante et son aura de diablesse. Être de séduction et de malheur, elle est la seule présence « féminine Â» dans ce monde d’hommes...

Alessandro Serra a imaginé une mise en scène magistrale dans laquelle fusionnent la mythique pièce écossaise du grand Shakespeare et certaines traditions de l’île de Sardaigne (dont il est originaire), encore vivantes dans les carnavals de Barbagia où rites violents, libations au vin rouge, masques effrayants se côtoient. Tout, dans Macbettu, est chorégraphié, joué et ambiancé avec une perfection d’orfèvre. Ce travail semble l’illustration prise à la lettre de cette réplique du personnage éponyme : «  La vie n’est qu’une ombre qui chemine… Â», « une histoire racontée par un idiot, pleine de fracas et de furies…et qui ne signifie rien. Â» 
La pièce de Shakespeare, ici, prend la texture d’un conte et l’étoffe des cauchemars que l’on se raconte les soirs d’orage. Jouissivement allégorique, cette proposition théâtrale s’ancre autant dans les corps que les mots pour raconter, fige les émotions dans des tableaux aussi percutants que mémorables ( la mort de Lady Macbeth est tout aussi troublante que magique!), sollicite sans cesse notre esprit pour établir des ponts de sens jubilatoires entre le récit écossais médiéval et la Sardaigne des origines... De nombreuses métaphores synesthétiques s’imposent avec pertinence grâce aux jeux de lumière superbes et au travail sonore extraordinaire de cette création : bruits de sabots, frottements et claquements des talons sur le sol, embrassades viriles, grognements, ronflements, râles, mouches, cloches, coups de poing…Les sens sont secoués et l'on y perçoit de manière stomacale le précieux travail de formation de la Compagnie Teatropersona autour des actions physiques de Grotowski, des arts martiaux, et de la méthode de travail corporel d'Yves Lebreton mais aussi des techniques sonores traditionnelles telles que les chants vibratoires et le chant grégorien.  

Une pierre qui roule. Un corps que l’on traîne. Une cavalcade de cloches. Des cochons se pressant avec violence, le groin dans la mangeoire, comme des hommes se disputant une couronne…Des sorcières chauve-souris dialoguant avec Macbettu qui a déjà basculé un peu dans le royaume d'en-dessous…On ne compte pas les scènes jubilatoires dont ce Macbettu recèle! 

On applaudit la capacité de cette mise en scène à ménager des pauses dans la tragédie, à digresser sur un rien avec une bonne dose de farce pour mieux revenir ensuite aux méfaits en cascade d’un roi au trône-chaise rustique, déjà ironiquement sans assise….assurément parce que personne n’a pas le temps d’y siéger longtemps!
Le génie de cette création réside sans doute, au delà de sa puissance métaphorique constante, en son enracinement profond dans la tradition : la langue sarde enveloppe notre tympan étranger et ajoute au verbe une authenticité intestine, la puissance incroyable des voix des comédiens font vibrer jusqu’au frisson et tous ces bruits blancs, omniprésents et entêtants, convoquent dans notre imagination des terres sauvages et rugueuses où tout se grave au couteau dans l’écorce des coeurs.

Macbettu, c'est un cauchemar fantastique entre chien et loup. Une hallucination en noir et blanc qui fera date. Un requiem païen à la partition tellurique vibrante. Une tragédie aux portes des Enfers d’une inventivité et d’une originalité époustouflantes!  

Bravo in cascata per questa brillante messa in scena!

Macbettu
D’après Macbeth de William Shakespeare
Texte et mise en scene : Alessandro Serra
Eléments scéniques, lumières et costumes : Alessandro Serra
Avec : Fulvio Accogli, Andrea Bartolomeo, Leonardo Capuano, Giovanni Carroni, Andrea Carroni, Maurizio Giordo, Stefano, Mereu, Felice Montervino
Photos : Alessandro Serra
Diffusion en France : Aldo Grompone
Production : Sardegna Teatro et Compagnia Teatropersona

Dates et lieux des représentations :
Les 11 et 12 juin 2018 - Première en France- au Printemps des Comédiens - Théâtre Jean Claude Carrière - Montpellier
- Les 17 et 18 juin 2018 au Festival Colline Torinesi, Turin
- Du 22 au 30 juin 2018 au Teatro Massimo, Cagliari
- Les 8 et 9 août 2018 au Festival de Tampere Finlande
- Le 3 septembre 2018 au Festival Sarajevo, Sarajevo
- Du 19 au 20 octobre 2018 au Teatro Franchi, Pavia Italie
- Les 2 et 3 novembre 2018 à Marjanishvili State Academic Drama Theater, Tbilisi Georgia
- Les 12 et 13 novembre 2018 à La Rose des Vents, Lille
- Le 16 novembre 2018 à la Scène Nationale de Sète ( 34)
- Le 21 novembre 2018 aux Scènes Nationales de Belfort et du Pays de Montbéliard

Macbettu


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