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Le Liseur du 6h27 : Quand les mots suspendent le temps au p’tit matin dans une rame de RER

  • Écrit par : Philippe Delhumeau

le liseurPar Philippe Delhumeau - Lagrandeparade.fr/ Sibylle de Montigny est l’adaptatrice et la metteure en scène du roman à succès de Jean-Paul Didierlaurent, "Le Liseur du 6h27". L’histoire d’un jeune homme, Guylain, que l’ordinaire ballote dans la routine quotidienne entre son travail dans une usine de broyage de livres et les coups de téléphone de sa mère.

Avant 6H27. Des gens, la mine hagarde des lève-tôt, montent dans une rame de RER. Les uns s’accrochent à la barre d’appui, les autres assis tanguent sur les à-coups imposés par le train. Le quotidien, somme toute, de milliers de franciliens qui font corps avec tous ces anonymes, se croisent, se frôlent, se bousculent, partagent l’espace réduit, respirent des parfums fleuris ou des after-shave, subissent les odeurs des levés de la dernière minute ou des couche-tard, travailleurs et fêtards.
Tous les matins, les mêmes gens font les mêmes choses par habitude. Une façon de se démarquer du voisin pour s’isoler dans la cohue. Une rame de RER est un œil ouvert sur le monde décliné au singulier et au pluriel.
6H27. Guylain, feuilles en main, lit des bribes de textes sauvés de la destruction. Qui le connait, l’écoute. Des histoires décousues, des recettes de cuisine inachevées, des personnages qui s’extraient des lignes et disparaissent dans le brouhaha. Des mots, des virgules, des phrases, des points, le temps, trois points de suspension. A demain.
Demain. 6H27. Une rame de RER. Des gens, les mêmes et d’autres. Guylain, ses lectures et arrêt sur le quai du qui est qui et du qui fait quoi.
Une usine. Des ouvrières, affichant un sourire mécanique et tuniquées sur le mode identique, s’installent sur leur poste de travail. Guylain met en route les machines, les cadences infernales peuvent commencer. Le bruit, la répétitivité des gestes, les pauses imposées, le glas de fin de journée.
Demain. 6H27. Une rame de RER. Des gens, encore et toujours les mêmes. Guylain, ses lectures et arrêt sur deux mamies qui prennent plaisir à écouter les histoires du jeune homme. Des rencontres ridées & what else ?
Un autre jour. Julie, dame-pipi dans un centre commercial. Un joli brin de nana. Son quotidien est conditionné par le nettoyage des cabines souillées par des pipis mal visés ou des boyaux qui se sont vidés de leur contenu. Les gens vont et viennent dans son lieu d’aisance, petite ou grosse commission, ils l’ignorent. Il y a le gros con de dix heures qui prend toujours la cabine huit. Même ici, les habitudes prennent trône. Un bonjour, ici, un au revoir, là, un merci, même périmé, est rare. Il y a aussi les 14717 carreaux de faïence comptés… par habitude. Julie tient un carnet de mots qu’elle annote de ces p’tits riens du quotidien. Ce quotidien qui sent la javel. Jusqu’au jour où le quotidien s’écrira en pétales de fleurs.
Guylain est interprété par William Lottiaux. Le comédien sublime son personnage en l’édifiant à un statut qui le démarque de ses semblables. Il se montre tour à tour touchant, sensible, fragile, joyeux, réservé, spontané. Amoureux des mots, il leur rend vie tous les matins à 6H27. Ces mots le conduiront à l’amour de la belle inconnue au carnet intime perdu et trouvé par hasard. Guylain et William. William est Guylain. Excellente interprétation.
Swann Nymphar joue le rôle de Julie. Tendre et drôle, coquette et coquine, romantique et nostalgique, Swann incarne une jeune fille dont le destin ressemble à l’histoire de Cendrillon. Julie tire la chasse d’eau sur l’indifférence des gens qui fréquentent ses toilettes. Swann rentre de corps dans l’interprétation de son personnage avec conviction et tempérament. Son jeu est fait de matière (sans jeux de mots) et de réalité car cette dame-pipi existe pour de vrai. Comment est-elle perçue ? Julie en est le tableau vivant. Swann Nymphar, une artiste accomplie.
Les comédiens de la Compagnie Circée, poussés par l’aura et la fougue de leur jeunesse, rendent la part belle au roman éponyme de Jean-Paul Didierlaurent.
Sibylle de Montigny réalise une mise en scène aboutie où la poésie du présent s’ouvre sur les pages blanches de vies anonymes. De belles rencontres jalonnent Le Liseur du 6H27, la singularité des protagonistes en présence témoigne de la routine des je, tu, il, nous, vous, ils, contraints à cette mécanique des temps modernes.
Un très joli spectacle à voir pour le meilleur et pour l’humour.

Le Liseur du 6h27
Auteur : Sibylle de Montigny (adaptation du roman de Jean-Paul Didierlaurent) 

Avec Marie Jocteur ou Alicia Ligi, William Lottiaux, Sibylle de Montigny, Swann Nymphar, Eliot Partaud, Grégoire Roqueplo, Sophia Zaïdat

Metteur en scène : Sibylle de Montigny, Jessica Boutan Laroze

Dates et lieux des représentations : 
- Du 7 mai au 26 juin 2018 au Funambule Montmartre ( 53 Rue des Saules, 75018 Paris)


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