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Charles Tordjman : "Rassembler autour d’émotions communes est déjà un acte politique"

  • Écrit par : Julie Cadilhac

CHARLES TORDJMANPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Commandeur des arts et des lettres, Charles Tordjman est metteur en scène et a dirigé le Théâtre de la Manufacture, CDN Nancy Lorraine de 1992 à 2010. Très attaché aux écritures contemporaines, il travaille souvent avec des auteurs vivants et a notamment commandé des textes à Tahar Ben Jelloun, Bernard Noël, François Bon ou encore Serge Valetti. Il crée cette saison «  Monologue du Nous » de Bernard Noël, un auteur aveyronnais dont l’écriture est marquée par les évènements qui ont touché sa génération: explosion de la première bombe atomique, découverte des camps d’extermination et des crimes staliniens, guerre du Viêt-Nam, de Corée, d’Algérie…Ce « Monologue du Nous » est un «étrange éloge du désespoir », « l’histoire d’humains qui ne savent plus comment se délester de l’utopie » et qui se demandent « vers quel avenir vont leur pas ». Rencontre avec le chef d’orchestre de cette fable révolutionnaire au propos exigeant, philosophique et humaniste.

Vous avez monté plusieurs textes de Bernard Noël: si vous deviez en quelques mots définir ce qui vous séduit de façon générale dans son écriture, que diriez-vous?
Ce que j’aime chez Bernard Noël c’est la délicatesse, la précision, l’audace de sa langue. Une langue finalement plutôt classique qui, si elle demande parfois effort, récompense largement

Ce “ Monologue du nous” se remarque déjà par un titre qui interpelle : de quelle manière avez-vous imaginé pouvoir monter sur les planches un tel paradoxe ?
C’est vrai que le titre « Monologue du Nous » est un paradoxe. Car comment Nous pourrait-il parler d’une seule voix? C’est pourtant dans ce paradoxe que se niche une question cruciale. Que voulons-nousPhotos de répétition ensemble, que voulons-nous pour être ensemble ? Depuis maintenant des dizaines d'années, je suis en quête d’un théâtre qui parle à la communauté, rassemblée ou divisée, mais ensemble, là, pendant la représentation. Ce rassemblement autour d’émotions communes est déjà un acte politique assez puissant pour que j’ai, encore et encore, le désir d’y revenir.

" Quelle cause peut justifier notre sacrifice?" : le texte aborde la question des utopies, c'est bien ça? évoque la montée des fanatismes qui naissent des " systèmes qui broient"?
Le sacrifice nous éteint. Le sacrifice est loin d’être rassembleur. Mais il est constitutif de notre culture. Le sacrifice d’Isaac m’a toujours fasciné. Comment peut-on aller jusqu’à donner la mort à son propre fils ? Comment justifier cela ?. Et pourtant il en va parfois de notre élévation quand nous sommes prêts à perdre une part de vivant pour d’autres vivants.

Un “ monologue” résolument d'actualité suite aux événements de septembre qu'il vous semblait important de monter?
Lorsque j’ai lu le texte de Bernard Noël, j’ai bien sûr pensé au considérable émoi des évènements de janvier. Seule la stratégie de l’attentat les réunit mais tout les sépare. Chez Bernard son Nous quatre ( un groupe irréductible , ne supportant pas la reddition ) engage une stratégie de réveil social et politique par l’assassinat  « ciblé » au nom de rien. Aucune volonté de vouloir changer les choses et de remplacer ce système par un autre. Le désespoir est le seul guide. Ce groupe en viendra même à qualifier la stratégie à base d’attentas d’ "immonde".

“Quel ”nous" dans une société qui se noie dans le “ moi je”"? : Bernard Noël apporte-t-il des éléments de réponse ou choisit-il de soulever des questions qui donneront à réfléchir aux spectateurs....comme une sorte de démarche psychanalytique ?
Bernard Noël ne milite pas pour telle ou telle cause. Bernard Noël alerte sur une société qui engendre de terribles violences sociales . Bernard Noël dit ici sa profonde inquiétude d’un monde désaxé . Bernard Noël parle d’une France essoufflée , qui, dans son essoufflement, peut faire naître de mortelles fractures.

Est-ce un texte profondément désespéré? Comment, en ce cas, éviter de plonger le spectateur dans une dépression post-représentation? Quels artifices théâtraux pour alléger cet " étrange éloge du désespoir"?
Le désespoir ne crée pas de dépression . Au contraire, il appelle à dire non à l’effondrement. Le désespoir est tonique. Nous engagerons avec le public chaque soir une discussion pour savoir où l’a conduit le chemin où le conduit Noël.

Quatre femmes sur scène pour porter ce texte engagé : et pourquoi pas quatre hommes par exemple? ou une distribution mixte?
Il n’y aurait pu y avoir qu’une seule voix. Ici la voix est multipliée par quatre femmes de générations diverses. Le combat désespéré que vont mener ces quatre femmes se joue avec une innocence et une sincérité troublantes et inquiétantes. Les femmes sont plutôt absentes de ces stratégies mortifères . Le fait qu’elles soient ici au premier plan du combat le rend aussi irréel.

Ces quatre femmes forment une sorte de chœur ...que vous avez imaginé avec les mêmes fonctions qu'un chœur antique? Ont-elles des interactions avec le public?
C’est un chœur oui , solidaire et vivant , humain et émouvant en relation permanente et très étroite avec le public.

Enfin, quelle scénographie avez-vous choisie pour ce “ Monologue du nous”?
Le scénographe Vincent Tordjman a choisi de réunir actrices et public dans le même espace. Est-ce une cabane clandestine ? Est-ce une nasse d’où l’on ne peut s’échapper ? Est-ce la carcasse de l’EglisePhotos de répététion elle-même ou celle d’un étrange animal ? Un lieu où celles qui jouent et ceux qui voient jouer sont au même endroit. Celui de la pensée…

Monologue du Nous de Bernard Noël
Mise en scène: Charles Tordjman
Collaboration artistique : François Rodinson
 Scénographie : Vincent Tordjman
 Musique : Vicnet
Lumières : Christian Pinaud
Costumes : Cidalia Da Costa
Avec Camille Bernon, Julie Pilod, Marie-Christine Orry, Alizée Soudet
Production Sortie Ouest, Compagnie Fabbrica
Durée: 1h30
A partir de 15 ans

Extrait de la pièce « Monologue du nous » , Editions P.O.L( parution: 10 avril 2015):

A : Nous avons perdu nos illusions
B : Il n’en va pas de l’engagement collectif comme du commerce. Les lois de ce dernier ne provoquent que des excitations éphémères.
C : Nous avons dû constater que dans ce monde-là chacun est seul tout en étant en nombreuse compagnie
D : Nous a besoin d’affronter sa défaite parce qu’il s’est formé dans l’exaltation
A : Nous, ici, faisons silence et contemplons un abîme.
B : Nous se demande ce qui le compose et sent la menace d’un démembrement.
C : Nous n’osons plus penser à la fatigue des révolutions et aux lendemains qui toujours déchantent.
D : Nous voulons trouver une autre porte, un autre couloir vers la constitution de ce que Nous est, de ce qu’il doit être.
A : Nous sommes naturellement un et volontairement multiple, mais la difficulté est ensuite de faire que ce multiple soit un.
Nous voudrions que Nous soit une personne – une personne et non pas un individu – et qu’il soit cependant capable d’affirmer sa diversité sous un seul visage.
B : Nous décidons, nous proclamons, nous rions, nous crions, nous émettons de l’énergie, nous balançons entre la conviction et l’agacement.
C : Nous écartons ainsi les uns et exaltons les autres, qui croient assister au lever de forces capables de changer leur condition.
D : Nous passons alors pour les champions d’une société nouvelle et d’une vie à l’unisson.

Dates des représentations:

- Les 6,7,8 et 9 novembre 2015 à l’Eglise Saint-Félix de Bayssan, Sortie Ouest, Béziers (34) - CREATION

- Du 4 au 13 novembre 2016 à la Maison des Métallos ( 94 Rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris)

Charles Tordjman

 

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