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Mon Lou : un chant d’amour au cœur de la Grande guerre

  • Écrit par : Odette Martinez Maler

mon louPar Odette Martinez Maler - Lagrandeparade.fr/ Un chant d’amour au cœur de la Grande guerre, c’est ce que met magistralement en espace et en voix "Mon Lou", le spectacle « total » que la comédienne Moana Ferré et le metteur en scène Christian Pageault nous offrent au Théâtre du Lucernaire jusqu’au 23 juin 2018.

L’amoureux éperdu, c’est le poète Wilhelm Apollinaire Kostroswitzky dit Guillaume Apollinaire engagé deux mois après la mobilisation générale de juillet 1914, successivement affecté au 38 ème régiment de Nîmes, envoyé au front en Champagne, monté en ligne en 1915 dans l’infanterie et plongé dans l’horreur des tranchées, de la boue et de la vermine. L’amante de papier, c’est Louise de Coligny-Châtillon, une jolie jeune femme d’origine aristocratique qu’Apollinaire a rencontrée, en septembre 1914, dans une fumerie d’opium de Nice. Cette dernière décrite par André de Rouveyre, ami du poète, comme « spirituelle, sensible, insaisissable, gracieuse, et novice aventureuse, frivole et déchainée » est à la fois l’inspiratrice, la destinataire, la complice des textes lyriques et érotiques écrits par Apollinaire entre 1914 et 1918. "Mon Lou" est une adaptation originale des Poèmes à Lou et des lettres à Lou : des lettres échangées bien après que ne s’éteigne l’amour intense et fugace qui unit pour un temps les amants, très exactement de l’automne 1914 au printemps 1915.

Ces poèmes et ces lettres constituent le fil rouge d’un spectacle où la création dramatique, picturale et musicale est mise au service d’une interprétation sensible et subtile.
La comédienne Moana Ferré, incarnant tour à tour Lou (la destinataire) puis Guillaume (le poète épistolier), nous fait découvrir, durant une heure, les méandres du désir amoureux. Le montage des textes réalisé pour la mise en scène met en lumière la progression et les multiples facettes des sentiments : souvenir nostalgique d’une passion charnelle, idéalisation poétique de l’aimée, désespoir face aux jeux de séduction et d’esquive de Louise puis dépassement de cette affinité élective vers une correspondance plus cérébrale, libertine et littéraire. Enfin - indice d’une défection sentimentale ou d’une évolution morale du poète transformé par l’épreuve du front - les derniers textes dits par Moana Ferré célèbrent les vertus d’une communion spirituelle toute platonique : le corps sensuel de l’aimée est finalement transmué en créature angélique et diaphane….

Or "Mon Lou" est bien plus qu’une reconstitution historique. Car ces lettres et ces poèmes forment la matière d’une fable qui nous donne fort à penser sur notre propre rapport à l’amour, à la mort et à l’écriture.
Le dispositif scénique inventé par Christian Pageault nous fait ressentir comment se jouxtent, de façon irréconciliable, le temps de la grande Histoire traversée de fureur et celui des vies particulières habitées par le désir.
Et il nous laisse entendre combien l’alchimie de l’écriture allie, mêle et transforme ces dimensions contraires. Á un bout de la scène, sur une grande page blanche et verticale, sont projetées des images de feu et de mitraille : traduction audiovisuelle des visions d’effroi qu’exprime la correspondance d’Apollinaire, une manière de journal adressé qui porte témoignage, jour après jour, de la peur, de la boue, des éclats d’obus et de la promiscuité des chambrées. Á ces archives cinématographiques de la Grande guerre et à ces figures contemporaines s’ajoute la mémoire sonore des chansons de poilus, qui nous rappelle, avec humour, la dimension collective de l’expérience particulière consignée par Apollinaire.
Á l’autre bout de la scène, dans un temps - qui semble être le même et qui est pourtant tout autre - se joue le drame minuscule de l’attente et du désir : le temps de l’écriture.
Une jeune femme, légèrement vêtue de soie, lit à toute allure, à en perdre le souffle, des lettres d’amour, des fragments de poèmes. Elle plie et déplie des feuilles de papier, les froisse, les jette et les reprend dans cette urgence de qui voudrait abolir la distance et l’absence. Se mêlent ainsi, dans un contrepoint savamment concerté, la voix du poème amoureux, le bruissement des feuilles et les coups de canons.
Ces lettres reliques qu’elle serre compulsivement sur son cœur s’étirent alors comme une peau d’encre et de papier qui l’entoure, l’enveloppe et la caresse. L’une d’elle se déploie immense tel un suaire portant l’empreinte de l’amant, un drap où se lover lascive et pensive. Puis elle devient toile vierge où jeter, au gré du hasard, des coulées d’encre, de larmes et de sang : rage picturale, mémoire des corps.

Écrire l’amour en temps de guerre, sous le poids de la violence, n’est- ce pas aussi résister, contrarier la douleur, démentir le réel, donner corps à celle qu’on a perdue ? Conjurant le manque qui hante tout langage, sur la page verticale du théâtre un idéogramme dessine la silhouette de la chère disparue. Ou encore, paradoxe absolu - à la mesure de la déraison amoureuse - sous la plume du poète bouleversé, les bombes deviennent des fleurs et les obus des sexes qui pénètrent une terre désirante…..
Mais au-delà du contexte historique de la Grande guerre et de la biographie particulière de Guillaume Apollinaire, "Mon Lou" célèbre d’abord la magie de l’amour : l’affirmation de la vie qui défie la menace de la mort. Tout comme il intensifie celle de l’écriture amoureuse qui transmue, érotise et enchante le monde. "Mon Lou" nous livre ainsi un regard aigu et moderne sur les mots d’un poète qui explorent des limites où voisinent amour et mort.

Mon Lou

Auteur : Guillaume Apollinaire
Avec Moana Ferré
Metteur en scène : Christian Pageault

Dates et lieux des représentations: 

- Jusqu'au samedi 23 juin 2018 au Théâtre Le Lucernaire ( 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris) 




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