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R (Remplacer ) : quand le Collectif Moebius parle du manque et de la frustration

  • Écrit par : Julie Cadilhac

Le petit cow-boyPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ R est une agence qui propose de panser provisoirement l’absence ou la disparition d’un proche et d’incarner celui ou celle qui vous manque. R peut aussi (re)mettre en scène votre douleur pour mieux l’oublier, vous aider à rejouer un moment qui vous a fait mal pour mieux l’appréhender.

R est une agence sérieuse qui suit une procédure rigoureuse pour vous offrir la meilleure prestation possible. De l’entretien préalable pour cibler les besoins à la rencontre avec l’acteur-remplaceur, tout est pesé, réfléchi…vous avez à faire à de véritables professionnels! Sauf que…forcément, lorsqu’on travaille avec de l’humain et que l’on est humain soi-même, est-on à l’abri de certaines faiblesses? Arrive-t-on à offrir une prestation sans empathie aux clients en mal-être? Ne se pose-t-on pas des questions sur ses propres manques et son rôle dans cette cynique mascarade?
Le sujet choisi par Sophie Lequenne et Marion Pelissier est passionnant ; dans un futur pas si lointain que ça, dans le cadre d’un monde contemporain où tout est devenu marchandise lucrative, où « les personnes singulières s’effacent au profit d’individus interchangeables », où les réseaux sociaux et les sites de rencontre contribuent à construire des individus qui ne se sentent plus en lien, se déresponsabilisent et usent des autres comme de kleenex, l’apparence et la tromperie deviennent des credos de vie, une obligation pour résister dans la jungle des émotions bafoués…Où cela nous mène-t-il? vers la folie? l’absurde? Des questions assurément pertinentes à approfondir.
De quoi sommes-nous faits si ce n’est d’émotions? Et que maltraite-t-on et néglige-t-on à l’envi sinon nos émotions? Voilà le point de départ.

Le collectif Moebius nous emmène donc dans ce futur possible : on assiste à des entretiens où l'on cherche à établir les besoins du client et à le satisfaire, à des exercices d'entraînement pour apprendre à avoir le masque de l'empathie, des rendez-vous programmés où l'acteur aide un être blessé à rejouer une scène pour mieux l'oublier ou la comprendre, où il devient une main à tenir, une oreille qui écoute voire même un chien affectueux qui se laisse caresser un bon livre à la main...et l'on finit par rire, avec eux, malgré le cynisme des situations, de ce dont on ne devrait pas s'amuser mais, comment faire? "R" parle d'une "solitude entourée" qui reste toutefois solitude malgré les tentatives pour y échapper. Et l'estomac se serre, assurément, en entendant l'époux quitté avouer " j'ai un peu honte". L'émotion est souvent palpable sur le plateau et le jeu des comédiens s'avère sincère et attachant. 

On arguera cependant que le sujet est abordé de manière un peu superficielle. Bien sûr les personnages sont touchants et l'on compatit avec le cri de la comédienne qui explose en disant à l'un de ces clients " Dis-moi quelque chose de réel!". Bien sûr qu'il est important de montrer que personne n'est épargné dans cette exploitation sordide des émotions. On aurait cependant aimé que ça aille plus loin et que si ça tourne 1h45 autour de cette agence et des dysfonctionnements progressifs de ses employés, que ça réfléchisse davantage sur cette comédie perpétuelle que la société nous oblige à jouer, sur ce masque que nos faiblesses et nos peurs refusent aujourd'hui d'enlever, sur ce cynisme sociétal qui fait basculer l'homme contemporain dans des relations trop souvent vides ( de sens, de sentiments, d'engagement...), où les partenaires deviennent interchangeables et l'affection semble être un service monnayable comme un autre. Dans cette pièce, les protagonistes sont déboussolés soit par la schizophrénie et l'isolement qu'entraîne leur métier, soit par le refus de grandir et d'accepter le manque, la rupture, la perte, la douleur. Au lieu de prendre à bras-le-corps ces problématiques et de poser des mots forts, on a le sentiment qu'on a adopté aussi ici des stratégies de fuite en choisissant notamment comme fin la bouffée de délire d'une actrice qui ne satisfait que le public adolescent, ultra enthousiaste à la fin de la représentation ( il faut effectivement le souligner)...l'adulte, s'il a passé un moment agréable, reste cependant sur sa faim...peut-être parce qu'il se nourrit davantage du verbe et des complexités des personnages que des situations. Peut-être parce qu'il ne suffit pas d'appuyer là où ça fait mal, il faut ouvrir la plaie ; pour espérer, sinon la soigner, au moins y voir un peu plus clair. 

R ( Remplacer)

Création 2017
Conception et mise en scène : Sophie Lequenne
Texte : Marion Pellissier
Jeu : Julien Anselmino, Charlotte Daquet, Jonathan Moussalli, Marie Vauzelle, Marie Vires
Création lumières et régie générale : Maurice Fouilhé
Création et régie son : Estelle Gotteland /
Musique : Marc Sens
Costumes : Lucie Patarozzi
Assistanat : Valérie Gasse
Diffusion production : Léïla Cossé
Administration de production : Sonia Marrec
Durée : 1h45
Production : Mœbius
 - Coproduction : Théâtre Jean Vilar - Montpellier

Dates et lieux des représentations : 
- Création 9 et 10 novembre 2017 , Théâtre Jean Vilar – Montpellier
- 22 et 23 novembre 2017 – Théâtre Sorano, Toulouse (31)
- 26 janvier 2018 – Saison Culturelle, Cazals-Salviac (46)
- 8 et 9 février 2018 – Théâtre de Vanves, scène conventionnée (92)
- 12 avril 2018 – Le Kiasma, Castelnau le Lez (34)

Crédit-photo : Le petit cow-boy


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