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Jacques Allaire : "Je n'aime pas le réalisme. Je tâche de le transfigurer."

  • Écrit par : Julie Cadilhac

Jacques AllairePar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Jacques Allaire est comédien et metteur en scène. Ses créations naissent toujours de visions qu'il restitue d'abord sous forme de croquis; plus tard, ses "rêves" s'incarnent en chair, en os et en matériaux sur les planches dans une beauté plastique toujours étonnante. Jacques Allaire n'a pas une approche classique du théâtre et des textes qu'il aborde; il digère les mots et en extrait la substantifique moelle. Le verbe devient une matière sensible dont on entend battre le cœur sur le plateau et qui se déploie, grossit, gronde, s'emballe et revêt une identité propre, monstre fantasmagorique souvent inoubliable. 
Dans " le dernier contingent", Jacques Allaire s'intéresse à la jeunesse et ses dérives, à la difficulté d'être l'avenir en marche lorsque la société vit dans "l'hystérie de la normalisation et de la sécurité" et formate l'individu dans des cases étriqués et caricaturales...Il nous explique ici la genèse de ce projet, le choix du texte de Alain Julien Rudefoucauld et sa démarche artistique.

Si vous deviez exprimer en quelques mots ce qui vous a donné envie de vous emparer du texte d'Alain Julien Rudefoucauld, vous diriez...?

C'est le fait d'un hasard . Sur la table de ma libraire, il y avait posées les nouveautés 2012 alors que je me posais la question de l'adolescence . De ce temps où le monde est un champ de possibles, plein de désirs et d'espoirs , et ce temps me paraissait aujourd'hui étrangement abîmé . La désespérance plus grande , la désillusion précoce et les jeunes gens déjà soumis aux règles du marché , abonnés à tout et obéissants. Sur la table donc ce livre au titre étrange : LE DERNIER CONTINGENT ...et sur la couverture une photo simple et banale d'adolescents sweats capuche. L'auteur,  je ne le connaissais pas; il s'appelle Alain Julien Rudefoucauld. J'ai commencé à le lire dans la librairie puis ai continué dans les trains et les hôtels alors que j'étais en tournée de mon spectacle "La liberté pour quoi faire ? " .  J'ai été saisi par le torrent de la langue et les  aventures de ces six adolescents en perdition qui se battent pour vivre .

C'est un texte profondément engagé qui cherche à montrer les responsabilités multiples de la délinquance?

Oui, c'est un grand roman . Il n'y a pas d'oeuvre importante qui ne soit qu'un simple divertissement . Il dresse un portrait cinglant des structures de nos sociétés modernes et de cette hystérie de la normalisation et de la sécurité qui, sous prétexte d'un vivre ensemble meilleur,  font de chacun un délinquant ou un policier en puissance .

La pièce est librement inspirée du roman : avez-vous donc réécrit des scènes pour qu'elles s'adaptent au plateau? gardé les mots mêmes du roman? Quelles adaptations avez-vous faites?
Mon chemin est celui du dessin et du subconscient nés des impressions qu'a laissé en moi le roman lorsque je l'ai découvert et lu . Je ne cherche pas à adapter le roman .  Je l'ai lu, refermé, oublié. J'ai dessiné les sensations qui m'en restaient. Puis j'ai fait construire mes dessins, les espaces de ce qui est devenu la scénographie . Ce n'est qu'après avoir choisi les acteurs que j'ai réouvert le roman. Nous  l'avons  relu in extenso  avec les acteurs en même temps que je continuais à dessiner mes sensations . Les mots seront ceux de Rudefoucauld, ceux du roman qui rentrent dans mes dessins . Ils obéiront aux dessins comme moi même je me laisse guider par eux . Si je dois résoudre la question en une formule je  dirai : la sensation d'une chose n'est pas la chose et je ne ne travaille, moi, qu'à la sensation .

On part d'une situation terriblement réaliste que vous avez choisi de présenter sous forme de "conte halluciné aux accents de tragédie moderne"...quels procédés de mise en scène et de scénographie contribuent à donner une dimension plus fantastique à ce récit?
Je n'aime pas le réalisme . Je ne suis pas attiré à reproduire le réel , ni à le restituer artistiquement . Je tâche de le transfigurer et m'efforce de réaliser une oeuvre morale et plastique qui affecte les gens physiquement et puisse renvoyer chacune et chacun à ses propres sensations et questionnements . L'espace que j'ai dessiné est à la fois une parabole et  un véritable ventre de baleine qui recrache ce qu'il a avalé , un alien en perpétuelle transformation. Un espace où vivent les souvenirs , les pensées, les fantômes de chacun . Ainsi chose vécue ou rêvée , souvenir des sensations ou revivre des événements. Refus de toute objectivité. L'univers sonore, aussi bien que la lumière, feront exister ce qu'on ne voit pas , matérialiseront les pensées ou les fantasmes . Les lumières ne sont pas là pour montrer les acteurs mais pour faire apparaître les pensées qui les traversent , les saisissent. C'est dans ce mouvement continuel et la multiplication des tableaux, la transformation des corps par les vêtements et des situations que je  pourrais, je crois, parvenir à créer ce monstre de spectacle et inventer en effet ce que l'on pourrait nommer un conte halluciné .

Est-ce à dire que c'est un spectacle sombre? ....où, parce qu'il s'agit de parler de l'avenir et de la jeunesse, pour reprendre quelques vers baudelairiens, si leur jeunesse " ne fut qu'un ténébreux orage" , elle est tout de même " traversée ça et là par de brillants soleils"?
J'invente un conte plein de ténébreux orages et plein de brillants soleils mais je ne parle pas du réel . Il faut bien tuer ogre, sorcière, loup et monstres à trois têtes, non ? N'est ce pas cela qui est beau:  surmonter , dépasser ses peurs et ses terreurs , n'est-ce pas ainsi que sont tous les contes ? Ces six adolescents seront les brillants soleils qui traverseront de ténébreux orages .

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Travailler avec de jeunes comédiens, c'est une première ou vous aviez déjà animé des ateliers de théâtre pour des adolescents? Une énergie passionnante et en même temps difficile à canaliser?
J'ai en effet dirigé des adolescents d'une classe de première option lourde théatre du lycée Jean Durand de Castelnaudary pour lesquels j'ai monté une adaptation de la République de Platon en mai dernier . J'ai aussi dirigé un stage pour la promotion 2014 de l' Ensad de Montpellier.

Si vous nous parliez des comédiens justement...comment les avez-vous choisis et pourquoi?
Je cherche des présences pleines et il fallait que les corps ne mentent pas . Qu'ils soient d'évidence et sans travail possiblement ces adolescents,  que l'on voit en eux des jeunes gens  puisque que ce sont des jeunes gens qu'ils représentent . Donc j'ai choisi d'engager de jeunes comédiens . Ensuite j'ai fait nombre des écoles nationales de théâtre pour rencontrer les jeunes comédiens qui en sortaient ou allaient en sortir . Ils se sont imposés d'eux-mêmes pour les figures que je voulais leur faire incarner . Je les ai choisis parce qu'ils me plaisent beaucoup, que j'aime ce qu'ils dégagent et sont pour moi déjà ce qu'ils ont à être.  Evelyne Hotier, issue de L'ENSATT DE LYON;  Chloé Lavaud, issue de l'école du TNB de Rennes ;  Valentin Rolland de L'ENSAD de Montpellier ;  Gaspard Liberelle issu de l'école de la COMÉDIE de St- Étienne;  Edward Decesari du COURS FLORENT-Paris ; Paul Pascot de L'ERAC de Cannes .

La musique est essentielle chez les jeunes...qu'avez-vous imaginé avec Guillaume Allory et David Lavaysse pour accompagner cette odyssée contemporaine?
La musique est intrinsèque au dessin . Elle est un matériau essentiel de mon langage. J'ai toujours entendu des guitares électriques; ainsi Guillaume et David composent en ce moment même - à partir des dessins,  des discussions sur l'univers plastique et les visions fantastiques - la musique et les sons de cette nouvelle création .

Il y a toujours un je-ne-sais-quoi de visionnaire dans vos créations ...elles sont un mélange sensible d'engagement et de désillusion, comme un paradoxe ... Est-ce que vous adhérez à cette description? Est-ce qu'elle convient en tous cas à ce “ dernier contingent”?
Oui.



Enfin, comment la pièce a-t-elle été accueillie par les jeunes pour l'instant?


Impressionnés par le roman , par l'ampleur du travail...et je leur envoie chaque jour les tableaux au fur et à mesure que je les écris à présent que je suis en train de composer les mots qui rentreront dans les dessins. Et je compose sur mesure pour chacun d'eux leurs différentes partitions . Je crois qu'ils sont pleins de désir et d'impatience et je crois qu'ils seront merveilleux .

Le dernier contingent

librement inspiré du roman de Alain Julien Rudefoucauld (éditions Tristram, 2012)

Un spectacle de Jacques Allaire

Création son et musique :  Guillaume Allory /David Lavaysse

Création lumière: Christophe Mazet

Régisseur général et son: Guillaume Allory

Scénographie: Jacques Allaire / Dominique Schmitt

Costumes: Wanda Wellard

Avec Edward Decesari, Evelyne Hotier, Chloé Lavaud, Gaspard Liberelle, Paul Pascot 

Laurent Robert, Valentin Rolland

Musicien: David Lavaysse

Production déléguée : Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau

Coproduction : Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau, Scènes des 3 Ponts - Castelnaudary, Le Parvis - Scène nationale Tarbes-Pyrénées, L’Estive - Scène nationale de Foix et de l’Ariège

Tournée 2015-2016
●Création les 4 et 5 novembre 2015 Scènes des 3 Ponts - Castelnaudary
●19 novembre 2015 Scènes croisées de Lozère - Mende
●1er décembre 2015 CIRCa Pôle national des arts du cirque - Auch
●3 - 4 décembre 2015 Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau
●12 au 15 janvier 2016 Théâtre Dijon-Bourgogne - Centre Dramatique National
●21 au 29 janvier 2016 L’Estive - Scène Nationale de Foix et de l’Ariège
●2 - 3 février 2016 Le Parvis - Scène Nationale Tarbes-Pyrénées
●1er au 3 mars 2016 La Comédie de Saint-Etienne - Centre Dramatique
National
●22 mars 2016 Les Scènes du Jura - scène nationale

 [bt_quote style="big-quote" width="0" author="Jacques Allaire"]Il n'y a pas d'oeuvre importante qui ne soit qu'un simple divertissement.[/bt_quote]

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