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Satoshi Miyagi : quand la révolte d’Antigone se sublime en notes bouddhistes et chorales

  • Écrit par : Julie Cadilhac

AntigonePar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Une merveille! Dans l’écrin de la Cour d’honneur du Palais des Papes, Satoshi Miyagi fait résonner le mythe d’Antigone dans une mise en scène vibrante et sublime où se conjuguent avec virtuosité des envolées musicales brillantes, des interprètes d’une justesse saisissante, des jeux de lumière superbes et une scénographie époustouflante de beauté.

Après un prologue pertinent et drôle - en français! - qui vient résumer l’histoire d’Antigone, jeune femme rebelle qui s’oppose à l’autorité de son oncle Créon - devenu roi de Thèbes par nécessité pour remplacer Oedipe aux yeux maintenant crevés - en enterrant son frère Polynice, retour à la gravité solennelle et élégante de la tragédie. Le sol est un miroir d’eau dans lequel les bottes se noient et font des ronds dans l’eau, les costumes d’un blanc immaculé portent déjà le deuil des tragédies propres, accompagnés d’une mélodie entêtante d’harmonica de verres. Antigone, Ismène, Créon, Hémon, le garde, Tirésias. Ils sont tous là, mais dédoublés : certains incarnent dans un jeu dépouillé et codifié les personnages, d’autres leur prêtent leur voix. Hommage à l’Antiquité? Les uns étant le masque stoïque des fatalités, les autres portant les logoï implacables et cathartiques, soutenus le plus souvent par un choeur de voix dramatiques?
Dans cette scénographie zen où se déroule la fin de l’histoire de la famille maudite des Labdacides, sur les roches sédimentaires placées tout au long d'un plateau en longueur, se jouent les différents actes et se perchent les protagonistes. Antigone est au centre, bouleversante, visage poudrée de blanc, perruque de neige, lèvres closes. Créon, à la voix démultipliée et grondante, siège un peu plus loin à sa droite, là où, plus tôt, reposaient encore les cadavres des deux frères fratricides. Ismène est au pied d’Antigone, ne réussissant pas à la rejoindre, oiseau blessée et faible qui n’a pas la dimension d’héroïne sacrificielle de sa soeur. Hémon, à leur gauche, tentera des allers-retours désespérés mais dignes vers son père dont la raison d’état veut justifier l’inflexibilité.
Véritable éloge de la lenteur, cette pièce se compose de danses-intermèdes à la dimension rituelle et de tableaux jubilatoires d’harmonie et d’intelligence vis à vis du texte de Sophocle. Jouant habilement sur les perspectives, utilisant brillamment le lieu en créant des effets d’ombres chinoises sur la façade d’arrière-scène qui accroissent la puissance universelle et évocatrice du mythe ( Ah! Tirésias et sa crinière de lion aux mains oiseaux qui présagent le malheur! ), le metteur en scène, par le truchement des moeurs et des traditions japonaises, donne à réfléchir sur le mythe autant qu’il lui rend hommage. On pense ainsi à Anouilh et cette tirade du choeur : « Et voilà. Maintenant, le ressort est bandé. Cela n'a plus qu'à se dérouler tout seul. C'est cela qui est commode dans la tragédie. (…)On est tranquille. Cela roule tout seul. C'est minutieux, bien huilé depuis toujours. La mort, la trahison, le désespoir sont là, tout prêts, et les éclats, et les orages, et les silences, tous les silences. (…) C’est propre, la tragédie. C'est reposant, c'est sûr… » 
Satoshi Miyagi offre une démonstration oxymorique et pleine de sagesse de la révolte des grandes âmes, toute en retenue, en pudeur et en maîtrise de soi. Antigone aux « larmes de neige » qui « filtrent entre les cils », sur ce plateau recouvert d'eau sombre - sur lequel un Charon bouddhiste promène son embarcation par deux fois ; pour amener d'abord les accessoires utiles au déroulement de l’histoire et ensuite pour porter des lampions flottants qui dérivent sur ce Styx inquiétant - a la poésie évanescente d’un haïku, la densité et le lyrisme du théâtre Nô et l’universalité prégnante des éléments qui s’invitent dans le bruissement de l’eau remué, la caresse de la brise estivale du Sud de la France qui froisse et fait flotter les perruques et les tuniques.
« Gravez ce spectacle sur vos paupières » nous dit-on. C’est assurément chose faite. Ces 105 minutes d’immersion dans la langue japonaise ravissent non seulement notre tympan voyageur, nos yeux subjugués par les couleurs métaphoriques du mythe réinventé mais également notre imagination fertile qui regarde s’éteindre avec regret la jeunesse fougueuse et sacrifiée des deux mains d’Antigone et Hémon qui s’étreignent dans l’ombre du mur de scène du Palais des Papes...Un immense moment de théâtre!

[bt_quote style="default" width="0" author="Satoshi Miyagi - Propos recueillis par Marion Canelas et traduits du japonais par Yoshiji Yokoyama"]Cette eau, c'est l'Achéron qui se trouve à la frontière de ce monde et de l'au-delà. Au Japon, on parle du fleuve Sanzu. Nous transposons cette métaphore telle quelle sur scène. les êtres humains flottent sur l'eau, pendant un temps puis ils sombrent au fond de l'eau, dans l'au-delà. [/bt_quote]

Avignon InAntigone
Texte : Sophocle

Traduction : Shigetake Yaginuma

Mise en scène : Satoshi Miyagi

Assistanat à la mise en scène : Masaki Nakano

Musique : Hiroko Tanakawa

Scénographie : Junpei Kiz

Lumière : Koji Osako, Masayuki Higuchi

Son : Hisanao Kato, Koji Makishima

Costumes : Kayo Takahashi
 - Fabrication costumes : Yumiko Komai, Mai Ooka, Reiko Kawai

Coiffure et maquillage : Kyoko Kajita

Accessoires : Eri Fukasawa, Kaori Miwa, Hiroki Watanabe

Direction technique : Mahito Horiuchi 

Régie plateau : Atsushi Muramatsu, Takahiro Yamada, Toshiki Kamiya 

Habilleuse : Mai Ooka

Interprétariat : Akihito Hirano

Traduction française pour le surtitrage : Corinne Atlan

Régie surtitres : Takako Oishi

Conseil à la dramaturgie : Yoshiji Yokoyama
Administration : Takako Oishi, Haru Tanji
Avec Asuka Fuse, Ayako Terauchi, Daisuke Wakana, Fuyuko Moriyama, Haruka Miyagishima, Kazunori Abe, Keita Mishima, Kenji Nagai, Kouichi Ohtaka, Maki Honda, Mariko Suzuki, Micari, Miyuki Yamamoto, Moemi Ishii, Momoyo Tateno, Morimasa Takeishi, Naomi Akamatsu, Ryo Yoshimi, Soichiro Yoshiue, Takahiko Watanabe, Tsuyoshi Kijima, Yoji Izumi, Yoneji Ouchi, Yu Sakurauchi, Yudai Makiyama, Yukio Kato, Yuumi Sakakibara, Yuya Daidomumon, Yuzu Sato
Production : Shizuoka Performing Arts Center
 - Coproduction Festival d'Avignon
 - Avec le soutien de la Japan Foundation et de la Spedidam pour la 71e édition du Festival d'Avignon
 - Avec l'aide du Kanagawa Arts Theatre

Crédit-Photo : Christophe Raynaud de Lage

- Du 6 au 12 juillet 2017 dans la cour d’honneur du Palais des Papes - Festival d’Avignon


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