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Solitude : la vibration d'un vécu révolu mais dont la hantise habite tout le décor

  • Écrit par : Catherine Verne

Fani CarencoPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ 4 février 2017, dans une salle de théâtre, on sent sur sa peau grise "les frais ombrages des tamariniers" qui poussent dans les Caraïbes. On pleure ses frères et ses soeurs, enterrés "la tête tournée vers l'Afrique". La scène a lieu au dix-huitième siècle, mais c'est ici et maintenant.  On vit avec chacun des noirs montés à bord des négriers, le moment du dernier regard au-dehors et de l'inspiration ultime avant de descendre en cale.
La mise en scène restitue ainsi pendant environ une heure, la vibration d'un vécu révolu mais dont la hantise habite tout le décor. On se croit balloté par les flots tandis que s'éloigne le relief de sa côte natale. On assiste aux incendies des villages pillés de leur force humaine, on court avec les fugitifs, on s'étrangle aux fers venant censurer les gorges insoumises.
Pour incarner ce "on", viscéral et plus intime que l'emploi du collectif des livres d'histoire ne le laisse soupçonner, un pronom emblématique: Elle, la nommée "Solitude". Il s'agit d'une femme, née de noire déportée, mulâtresse dont on suit le combat contre l'esclavage. En fond, les îles de Guadeloupe, basse et grande terre, agitées par les événements politiques et la révolte des esclaves que l'Histoire relate. A l'écran derrière les comédiens, des images d'archives attestent que tout cela est bien réel et a bien eu lieu.  Ce qui est raconté ici et maintenant s'est déroulé ailleurs et il y a longtemps. Mais la parole des femmes est bonne gardienne, qui articule le cri en chant, le chant en poème, le poème en manifeste digne.
S'appuyant sur des sources certes culturelles, Fani Carenco, diplômée d'études approfondies en Histoire des femmes, convoque aussi dans son oeuvre les ressources du témoin le moins négociable de l'horreur et de la sidération, le corps, dont la mémoire vive donne ici à voir et entendre le spasme inaltérable. Le corps féminin et noir frappe en effet par sa présence autant que la parole dans cette pièce: il bat de son pied nu le pont du bateau et la terre rouge où danser au bal créole, il fait tourner sa jupe de madras ou fredonne les berceuses qui l'endormaient enfant, il se cambre sous la domination coloniale,  se désarticule de douleur ou gronde de rage, et son dos lacéré saigne de cicatrices roses.
A l'origine de la pièce, un roman écrit par André Schwarz-Bart dont on apprécie l'adaptation par Fani Carenco. A souligner: la très juste interprétation des trois comédiens, Laurent Manzoni, Laure Guire, Marie-Noëlle Eusèbe, avec une mention spéciale pour le duo générationnel que forment les personnages de Solitude et sa mère, Bayangumay.

Solitude
France / 2016

Adaptation et mise en scène : Fani Carenco

d’après La Mulâtresse Solitude d’André Schwarz-Bart
Avec Marie-Noëlle Eusèbe, Laure Guire et Laurent Manzoni
Production : 
La Grande Horloge
 / Coproduction
 : Bonlieu - Scène Nationale d’Annecy / 
Les Inachevés - Académie des savoirs et des pratiques artistiques partagées
 - Sous l’égide de la Fondation Bullukian

Dates et lieux des représentations :

- Le 04/02/2017  - 18:00 - au Théâtre Jacques Coeur de Lattes

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