Par Guillaume Chérel- Lagrandeparade.fr/ Nous sommes en 1915, au tout début de la première guerre mondiale. Un homme en uniforme manifestement très content de lui s’apprêtre à siroter un Cognac qu’il juge bien mérité. Mais sa femme n’a pas vraiment apprécié ce dîner entre militaires allemands. Nous comprenons que c’est l’ultime confrontation du couple de chimistes allemands Clara et Fritz Haber, au soir de la première utilisation des gaz chlorés dans les tranchées de la guerre de 14-18. Chimiste elle-même, mais ayant sacrifié sa carrière pour le seul profit de celle de son mari, Clara ne peut accepter que l’armée allemande utilise dans les tranchées ce gaz mortel chloré que son mari vient d’inventer. Une violente dispute éclate entre les époux. Ils sont tous les deux juifs… et allemands, qui plus est.

Cet échange met en lumière leurs multiples désaccords sur la religion, la science et la vie, jusqu’à la tragédie… Ce dialogue imaginé par Claude Cohen (Le nuage vert), entre les deux personnages a sans doute réellement existé, il y a cent ans. Et il pose en filigrane des questions toujours d’actualité, au moment du conflit en Syrie où des gaz ont à nouveau été utilisés : peut-on faire de la science une religion ? La science remet-elle en cause l’idée même de Dieu ? Qu’est-ce que la vérité scientifique ? Un scientifique peut-il s’affranchir de toute considération morale ? Le progrès scientifique est-il toujours un progrès pour l’humanité ? Albert Einstein s’est posé les mêmes. 

Leurs désaccords sur la religion, la science, et la conception morale du savant posent les questions essentielles liées au progrès scientifique. C’est aussi le drame d’un couple uni par la science mais déchiré par leur conception opposée de l’humanité.
Mis en scène par Xavier Lemaire, sur le plateau aux côtés d’Isabelle Andréani, ce spectacle qui se déroule dans une salle à manger prés d’un salon, est d’une efficacité rare. La joute intellectuelle entre les deux époux est passionnante car elle n’est pas manichéenne. Les arguments des deux sont écoutables, notamment quand Fritz Haber, qui a évidemment tort, démontre à sa femme que sa croyance en Dieu est absurde. Cette dernière en devient folle de douleur et de tristesse. Bon, évidemment, dit comme ça… ça ne donne pas envie mais même s’il s’agit d’une énorme scène de ménage, les enjeux moraux évoqués sont d’une telle acuité intellectuelle que le temps passe sans qu’on s’en rende compte. Les deux acteurs sont justes et habités. Epuisés à la fin comme après un match de boxe où le vainqueur n’est pas celui que l’on croit.

Qui es-tu Fritz Haber?  de Claude Cohen
Mise en scène : Xavier Lemaire
Avec Isabelle Andréani et Xavier Lemaire.
Costumes : Rick Dikman
Décors de Caroline Mexme
Lumière : Stéphane Baquet
Musique : Régis Delbroucq

 - Jusqu’au 8 janvier 2017 au Studio Hébertot ( 78 bis boulevard des Batignoles 75017 Paris ) - Métro Villiers / Rome/ Tel : 01 42 93 13 04