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Dès que décembre pointe le bout d’un orteil glacé...

En haut la libertéPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Dessin d'Arnoo (Arnaud Taeron) Dès que décembre pointe le bout d’un orteil glacé, l’humanité toute entière se met en branle pour évacuer l’angoisse d’une nature qui se meurt et s’endort. C’est l’héritage occidental des Saturnales Romaines qui, à grands coups d’amphores et de bourrades chaleureuses, venaient donner du courage au peuple pour affronter l’hiver et alléger les affres de la froidure et des privations.
 
Se sentir solidaire. Voilà toute l’exquise ambition des manifestations humaines du douzième mois de l’année. La journée internationale contre le sida, la fête des lumières, le téléthon, l’Aïd, Noël et son cortège de traditions surannées, la Saint-Sylvestre et son flot de résolutions démotivées … le mois ne manque pas de retrouvailles symbiotiques. Notons d’ailleurs que, plus la fin du mois approche, plus le sujet de nos attentions se rétrécit. De mobilisations à échelle internationale, on finit, le 31 au soir,  par s’attarder sur son nombril et ses bobos existentiels, le champagne dans l’âme. Envie donc d’insister sur les deux festivals les plus prisés de notre cher hexagone en cette saison de haute déprime climatique...

Le gala du 24 décembre d’abord : Moment fédérateur incontournable ! Grâce à la justice qui règne sur notre monde doré et pailletté pour les festivités, chacun y reçoit pour prix de son mérite grosso modo ce qu’il aurait les moyens de s’offrir seul. Les pauvres se contentent donc d’oranges, les riches sont  gâtés. On s’en cogne des esseulés, on propose quatre veillées exaltantes aux comblés d’amour, et les suicidaires en finissent (Cf. Le magasin des suicides. Excellente référence pour tous ceux qui chercheraient une adresse de meurtriers sérieux. Demander Jean Teulé)…. Preuve que toutes les valeurs chantées en bouquets dans les rues bardées de guirlandes multicolores restent des poncifs superficiels.
Partager est un des piliers de Noël que l’on respecte de loin parce qu’il sollicite beaucoup trop d’implication  personnelle pour une société en voie d’égoïsme effréné. Allez! Que ceux qui ouvrent leurs portes aux SDFs de leurs quartiers, vont donner de leurs heures pré-gargantuesques aux restos du cœur,  invitent des vieillards délaissés à leur grand banquet familial lèvent la main….Ah !!!!ce grand ciel vide où volent ça et là quelques oiseaux désoeuvrés…Mais chut… ne le dîtes pas aux enfants !

NOEL !
Personne ne manque d’assister à ce grand événement… même le gratin. Chaque invité s’y présente dans ses plus beaux  atours, sourire à la gâchette : volonté ostentatoire de manifester toute la satisfaction d’en être et surtout d’y rayonner. Les gosses sont ravis. Et on déplore qu’il y en ait de moins en moins : leur présence ajoute une touche de candeur irremplaçable. Eux seuls jouissent de la magie conférée par les escaliers encotonnés de neige de la demeure patriarcale. Leurs acolytes adultes, dès l’ascension, s’épuisent déjà en grimaces souriantes et en mascarade conventionnée.

Je me rappelle, moi l’odeur sauvage du sapin fraîchement coupé, les treize desserts et surtout la pâte d’amande rose et verte dont on fourrait les pruneaux. Le calendrier de l’Avent. La crêche et la mousse que l’on allait ramasser avec papa, encapuchonnés de tendresse et les joues bisées par le vent sec. Les guirlandes dont je me faisais des boas. Le couloir qui s’éclairait et les aboiements des chiens.

« L’enfance, c’est de croire qu’avec le sapin de Nöel  et trois flocons de neige toute la terre est changée »  dit André Laurendeau. Le cœur des mômes bat car il croit en la magie coercitive de Noel. Les rires cristallins qui se perdent dans les branches touffues du sapin sont les cadeaux de la nuit. Ils ont le pouvoir d’attendrir l’adulte  qui regrette ce bonheur utopique d’être bien ensemble, c’est tout. Pourtant, qui n’a jamais vu la spontanéité enthousiaste des gosses se faire enguirlandée lorsqu’ils dérangeaient des adultes en représentation ? « Titou, tais-toi, tu ne vois pas que Maman est en pleine discussion sur les potentiels gagnants de la Star Ac 72 ! Va voir ailleurs s’il y a des lutins ! » Hélas, les cons sanguins sont partout…. surtout lors des symposiums familiaux.

1,2,3, on tourne !
Mamie Nova, avec son bel indéfrisable revioletté pour l’occasion, la vétérante qui n’a plus rien à prouver  vient là pour soutenir les plus jeunes et recevoir des hommages récurrents sur son mérite. Les frères CO&Laine inséparables, l’esprit farceur,  égayent le repas d’anecdotes drôlatiques. Les cousins jaloux applaudissent avec des rires forcés les succès de la belle sœur qui se vante. Le père, barbe blanche vénérable, maître de cérémonie, est entouré de reines grelottant. Non loin, la mère  cuisine avec beaucoup de savoir-faire une dinde certifiée, élevée dans une province voisine et  en laissera les meilleures parts à son fils. Enfin d’autres, sans nomination digne d’être étalée, mais protagonistes à grande gueule, s’ infiltrent, profitent du spectacle et finissent par laver leur linge sale, comme les autres, au moment du dessert.

Après le cocktail maison servi dans des coupes ravissantes au design vintage (salon du mariage 1956), la foule talonnée et cravatée est conviée à poursuivre dans le grand salon. Là, mille délices gastronomiques les attendent. Les gosses sont ravis. Déjà les premières frictions dues à la découverte du plan de table soulèvent une électricité imperceptible qui fait loupioter de plus belle le sapin complice. Les sujets de discussion sont d’une banalité confondante et l’on espère tenir ainsi jusqu’aux truffes fondantes. On n’a pas trop bûché ses répliques. Trop soucieux de la forme, on a négligé le fond. Et tout est prétexte maintenant à ingurgiter un maximum pour faire bonne figure et avoir un prétexte valable à se taire. Certains, pourtant, plus sages… ou moins ivres,  s’improvisent meneurs des débats: on s’applique à la rubrique « Potins » de la famille Martin. La pudeur est à mettre au placard : notons qu’il est bougrement drôle de se gausser des déconfitures des autres membres de sa tribu. La dinde est parfaite, cuite à point.
Mais soudain, entre le récit de la grossesse niaiseuse de la cousine Annabelle et les rodomontades de José GrosBrasPetiteCervelle sur ses conquêtes lobotomisées, la cousine Georgette, l’éternelle chouineuse enchiffrenée, déclenche involontairement les hostilités en lançant un propos à risque de déviation politique . Le genre : « Ahlala… ma fille galère pour décrocher un emploi dans le secteur secondaire » Riposte immédiate à droite. « Evidemment, on va encore dire que c’est à cause des mesures gouvernementales !». C’est André, à qui on n’avait rien demandé, notez bien,  qui fulmine. Georgette a des mines de crevette ébouillantée, bredouillant déjà des excuses inintelligibles. Silence foie-graté. « Vous nous gonflez avec vos refrains communistes : comme si vous aviez été capable de résorber le chomage quand vous étiez au pouvoir! ». A gauche, frétillements gênés. Certains essaient de temporiser, noient le poisson à grandes goulées de Bordeaux sec. Le caviar est englouti  à sa juste valeur. Mais à droite, on vocifère et on gesticule de plus en plus. Et les arguments s’enlisent quand les faits se reculent.
Une tante, perchée sur un mètre de talons aiguilles (ou presque) fait diversion en s’exclamant qu’il est minuit  et entame tout le registre de Tino Rossi. Et tous de taper dans les mains. Les gosses sont ravis. Mais, peine perdue, les hostilités reprennent au dernier la. La cousine Viviane essaie de focaliser l’attention sur son décolleté plongeant en poussant des éclats de rire vulgaires qui émoustillent seul le vieil oncle célibataire. Mais deux entêtés bien décidés à en passer aux mains insistent en bout de table…André contre Norbert, l’écolo branché qui vend des économiseurs d’eau à placer sur les robinets. Il est sympa Norbert.
On ne sait comment on évite les effusions de sang chaque année. C’est la magie de Noël ? On flirte avec les limites du débordement mais on sait bien qu’on se quittera à grandes tapes dans le dos et promesses de se rappeler très bientôt parce qu’on ne se voit jamais et qu’on habite juste à côté quand même….
La bombe de la soirée éclate  lorsque le grand-père lâche entre deux bouchées de bûche une réplique à la sauce xénophobe (L’an prochain, remplacer xéno par homo). Hurlements des cousins de Montpellier, profs cela va de soi, bossant en zone sensible, peace et love et toujours guettant les glissades de l’aïeul. Drame familial évité de justesse grâce aux larmoyants yeux de l’aïeule, Mémé Ginette, sélectivement sourde mais farouchement comédienne.
Hum hum…Café ? Thé ? Infusions ? Et quelques chocolats parce que l’estomac n’a pas encore éclaté…. ? Vers 4 heures, on se quitte plein de remords, après avoir ventripoté des heures durant sur la rallonge branlante  et on rejoint ses pénates le cœur faussement trompé d’un sentiment de nostalgie.

…..On la refait ! Moins crispés s’il vous plaît !

Oui…. Attendez ! Demi-tour ! Que votre pupille ne prenne point congé trop vite ! N’oublions pas le 31 et la joie de partager moultes coupes de Pommery bras dessus bras dessous avec quelques potes sélectionnés !
Pas plus tôt remis de l’humeur dépressive bouilli à la dinde déconfite, le  grand bal des résolutions! Ah bravo la météo cérébrale ! On n’en avait pas assez de la mélancolie sous-jacente aux paysages pelés et aux précipitations récurrentes : il fallait qu’on y ajoute une période de bilan ! Bon sang, mais changez le calendrier : je vote pour que l’année se termine en juin, mois festif entre tous ! Qu’on fasse le compte des ratés, tartinés de monoï, pieds en éventail au bord de la piscine lagon ! Qu’on fasse le grand saut dans une nouvelle année le teint hâlé et l’œil croqueur de pêches ! Non ?

L’objectif  du réveillon du jour de l’an est double :
-    Faire grand bruit et multiplier les rires  par centaines afin de pouvoir se vanter d’avoir eu un réveillon mémorable.
-    S’oublier un maximum dans : des bras aussi désespérés que les siens, des coupes amères, des résolutions idiotes et stériles.

Pas besoin de consulter une Madame Irma pour anticiper les décadentes conséquences de notre ivrognerie collective budgetisée à minimum 50 euros par tête de couillon arnaqué : l’œil hagard et l’haleine oscillant entre relans d’alcools mélangés et multiplication de clopes shitées, nous hurlerons ,après avoir volé un smack à la jolie brune célibataire au bar, les mains prises sur les poignets d’un bovin testotéroné, ou absolument seul(e) et le verre tendu vers un ciel sourd, un «  En 2009, on veut du neuf ! », credo pitoyable mais….incontournable. En 2017, les rimes ne manqueront pas et se déclineront selon les fêtards en "année poussette, paillette, rondouillette..." ou encore pour les plus inspirés " année concept" ou les plus désabusés "Donne-nous la recette!" . Une mauvaise rime, un souhait naïf : personne ne sera capable de plus au 00 :00 le plus zieuté de l’année.

En 100 avant J-C, l’homo sapiens attendait des fêtes la possibilité d’oublier les conditions matérielles et météorologiques qu’il avait à endurer. L’enjeu est autre en 2016 dans nos appartements surchauffés d’occidentaux privilégiés. Ce sont des angoisses plus psychologiques qui nous taraudent.
Avant, dès sa naissance, un enfant était considéré comme un adulte en minuscule, donc doué d’un mental incroyable face aux avanies de l’existence et aux revers du sort.  Alors qu’aujourd’hui, l’adultisme est hué par tous les blancs-becs, décrété comme une posture has-been et rébarbative. Résultat des courses :  on s’apprête à mourir en gosses. L’immaturité est monnaie courante. Surprotégés, on ne construit pas notre propre système d’auto-défense. Accrochés à nos rêves fantasques, la gifle de la réalité ne nous loupe pas. Aussi on pleure devant les sapins, on aimerait retrouver les jupons de sa mère et on cherche à comprendre pourquoi, en vieillissant, le monde autour de nous est si cruellement décevant. Pourtant, les sages ont toujours dit que le monde est immuable et que c’est seul notre regard qui lui donne des couleurs subjectives.

Histoire de déterminer en boutade, votre dévouée astrologue a lu dans le praliné de ses escargots de bourgogne quelques petits conseils avisés :

HOROSCOPE DES FÊTES :
FAMILLE : Soyez un ange au risque de passer pour une dinde. Evitez de vous faire enguirlandés !
AMOUR : Laissez les caramels, bonbons et chocolats aux autres et, afin de proscrire les lendemains aspirinés, sortez couverts !
FORME : Prenez le temps sur la route. Êtes-vous donc si pressés de retrouver votre tribu de singes grimaciers ? Les accidents mortels sont trop fréquents « la nuit des beaux joujoux ». Soyez prudents, ménagez votre coursier mécanique, réalisez qu’un deuxième réveillon vous promet sept jours plus tard d’autres réjouissances existentielles du même acabit (on changera juste l’entourage)…. Bref évitez que ça sente le sapin !
 

Saturnales : Chez les Romains,Saturne, dieu des semailles et du temps, était représenté avec une faucille et un sablier. A l’occasion des semailles, une grande fête (les Saturnales) se déroulaient du 17 au 24décembre.Le 25 décembre était le jour de «natalis invictis solis » (le jour de naissance du soleil invaincu). Les Saturnales étaient l’occasion de réjouissances effrénées et de véritables orgies : on buvait, on faisait du vacarme, on dansait et on jouait. Ce temps de fête était placé sous le signe de Janus, divinité à deux visages, un pour le passé, l’autre pour le futur. C'est l'origine de janvier, le mois de Janus.

Le site d'Arnaud Taeron - c'est ici!

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