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Debout sur mes paupières : les tribulations d’une bourgeoise en mal de reconnaissance

BelfondPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Il n’y a que les débuts qui sont intéressants mais l’essentiel est de bien terminer un roman. Le commencement de « Debout sur mes paupières », de Jessica Nelson, qui n’en est pas à son premier roman (c’est son sixième livre), est excellent. Une Jessica Nelson qui a déjà gagné sa place dans le landernau littéraire germanopratin, soit-dit en passant, pour avoir (co)créé les sublimes Editions des Saints Pères, lesquelles rééditent les manuscrits originaux de classiques de notre littérature. Sans oublier ses interventions gracieuses, et toujours bienvenues, dans l’émission littéraire tardive de TF1, Au fil de la nuit, animée par le non moins beau Christophe Ono-Dit-Biot.
Mais revenons au titre alléchant : « Debout sur mes paupières » est le premier vers d’un poème de Paul Eluard (Capitale de ma douleur, 1926). Jean Cocteau est également invoqué. Ça donne envie. D’autant plus qu’un livre qui commence par la fin, c’est intriguant : « Une jeune femme a été retrouvée à demi-nue, blessée et plongée dans un profond sommeil sur un banc (…) à Paris ». Son corps est couvert de griffures félines. Au point qu’on la transfère au service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Necker… Où on la surnomme La belle au banc dormant. Tout ça est de bon augure. Comme la première phrase (la plus importante d’un roman, dit-on) du premier chapitre, au diapason d’une entrée en matière qui met l’eau à la bouche (nous insistons) : « Sa vie semblait si parfaite que, parfois, Elisabeth M. en avait honte. ». On dirait une réplique de Desesperate Housewife…
Elisabeth M. est une « petite bourgeoise » (elle le dit elle-même) parisienne qui aimerait bien pouvoir se consacrer pleinement à son art, la sculpture. Or, sa vie maritale l’étouffe un peu, même elle si aime profondément Alexandre, qui fait tout pour la rendre heureuse (gagner de l’argent, entre autres). Il lui fait l’amour lentement, doucement, tendrement, par exemple, alors que bouillonne en elle la passion dévorante qui semble dévorer tous les grands artistes dignes de ce nom. D’ailleurs, pourquoi conjuguer ce mot au masculin ? Pourquoi les artistes femmes sont-elles si rares ? Moins nombreuses que les hommes, en tout cas.
A la manière de Laurent Binet, pour HHH, et Delphine de Vigan (D’après une histoire vraie), La narratrice tente de raconter, à la première personne, la manière avec laquelle elle voudrait décrire sa fascination pour Lee Miller (1907-1977), qui fut l’incarnation de la femme libre du XXe siècle, et la muse de Man Ray, entre autres (Picasso, les surréalistes…). Ce modèle (à tous les sens du terme), devenue photographe, a laissé des pages blanches, de sa vie d’artiste potentiellement plus accomplie à combler (suggère l’écrivaine). Elisabeth s’identifie à cette belle américaine qui aurait sans doute pu mieux faire, mieux créer encore si… Si elle avait été un homme (insinue-t-elle). Ou le syndrome de Camille Claudel. Or donc, Jessica L. Nelson prend à témoin son éditeur, prénommée Céline, comme dans la vraie vie. Ce qui donne des dialogues parfois amusants, notamment lorsqu’elles se chamaillent, sur les coulisses de la création romanesque (on déjeune beaucoup dans l’édition).
On aurait aimé en savoir davantage sur Lee Miller mais ça a déjà été fait (en anglais). Toute la première partie du roman, sur les interrogations d’une femme d’aujourd’hui, en proie à ses contradictions, est subtilement écrite. Puis ça s’essouffle avec le journal intime d’Elisabeth M., notamment les passages, trop longs, sur la gestation douloureuse et l’accouchement qui arrive… enfin ! D’un bébé mort (acte manqué réussi ou pas, également d’un roman mort-né, pas achevé). Nous préférons retenir les pages invoquant Niki de Saint-Phalle, Virginia Woolf, Jane Austen, Charlotte Brontë, Karen Blixen, Coco Chanel, Frida Kahlo. Aucune de ces « vraies » artistes n’a eu d’enfant, au contraire de Picasso. Non pas qu’elles ne les aimaient pas mais elles ont préféré se consacrer à leur art, comme Pablo, qui n’était pas connu pour être un bon père.

Debout sur mes paupières
Editions : Belfond
Auteur : Jessica L. Nelson
298 pages
Prix : 18 €
Parution: 19 janvier 2017

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