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Marlène : Philippe Djian et la femme fatale

Philippe DjianPar Serge Bressan -  Lagrandeparade.fr/ Qu’on se le dise : Philippe Djian est en grande forme. La preuve ? Son nouveau roman simplement titré « Marlène ». Depuis une trentaine d’années, avec ses épaules larges, le romancier né à Paris le 3 juin 1949 a pris une (bonne) habitude : il bouscule la langue française. Mieux : il ne l’explose pas, il la travaille, la peaufine, la patine. Et avec son nouveau roman simplement titré « Marlène », Philippe Djian poursuit, à 67 ans, le travail. Dans sa jeunesse, raconte-t-il, « j’ai fait du ciment pour des Parisiens. J’étais plus jeune mais je sais ce que c’est de bosser pour des gens. Je me souviens qu’à des moments, j’en avais marre. Je sais ce que c’est de vendre ses efforts physiques à des gens qui ont du pognon qu’ils ont peut-être gagné de manière discutable. Ce n’est pas facile à vivre. Ça ressort certainement, je penserai toujours à ça, même si maintenant je fréquente des gens socialement beaucoup plus installés et stables. Il s’agit d’un autre monde… » Chez Djian, il y a souvent des paumés, d’autres qu’on qualifie vite de « dingues ». Des marginaux, aussi. Et des hors norme. Et des femmes fatales… Hors norme et femme fatale, c’est tout ça, Marlène. Un roman très réussi sur la normalité- serait-on toujours l’a-normal de l’autre ?

Pour ce nouveau roman, une fois encore, le romancier a privilégié le travail sur la langue- « On me qualifie d’ « auteur américain » avec des histoires « dingues », explique-t-il. Mais moi, c'est juste la langue qui m'intéresse. C'est Raymond Carver qui m'a appris à traverser la rue. Cela veut dire porter un regard aigu sur le monde, voir ce que d'autres ne voient pas… Je m'en fous des histoires, c'est la langue qui me donne envie d'écrire ! » Cette fois, avec « Marlène », on change de décor : direction, l’Amérique. On résume : deux vétérans de la guerre en Afghanistan vivent dans la même ville depuis leur retour des combats. Dan et Richard sont amis d’enfance, éprouvent les pires difficultés à retrouver une vie normale après ce qu’ils ont vécu à la guerre. Certes, Dan a presque retrouvé une place dans la société : il s’impose une hygiène de vie rigoureuse et travaille dur, mais il en va autrement pour Richard : lui, il apprécie la castagne et fidélité est un mot inconnu dans son vocabulaire… Tout va basculer quand débarque Marlène, la belle-sœur de Richard. Avec cette femme fatale- une de ces femmes qui peuplent et hantent les romans de Philippe Djian, ira-t-on jusqu’à la tragédie ? Et même s’il a dit et répète que, dans ses romans, l’histoire n’a guère d’importance, une fois encore le romancier prouve qu’il sait manier l’art du suspense, de la tension…
Dans la bibliographie « djianesque », Marlène tiendra à coup sûr une belle place- comme la Betty de « 37°2 le matin ». « Elle arrive, elle met le bordel. Avec sa sœur, avec Dan, commente Philippe Djian. Et j’aime bien les personnages qui reviennent, auréolés d’un mystère. On ne sait pas si elle est enceinte, si elle ment. Même moi je ne sais pas… C’était le personnage du roman capable de tout faire exploser et elle m’amusait.  Est-ce que cette fille a couché avec tous les mecs qu’elle a rencontrés ? Richard le dit mais on ne sait pas si c’est vrai. Les autres ont une mauvaise image d’elle. Nath en parle comme d’une emmerdeuse, mais on ne sait pas si elle a raison. On ne sait jamais si Marlène est une super manipulatrice qui joue l’idiote ou pas. J’aime bien ce genre de personnage… »
Et puis, dans « Marlène »- roman post-traumatique, comme toujours chez Philippe Djian, il y a la forme. Avec ce travail d’artisan spécialisé sur la langue, la phrase,… Le style Djian. Condensé, nerveux, aussi brusque que gracieux. Discours de la méthode, version Djian : les phrases- « J’ai l’impression que mon style s’affine, que je suis plus à  l’aise dans mon écriture, que j’enlève les trucs qui vraiment me gênent. Je réfléchis tout le temps à ça. Est-ce que, dans une phrase, j’en ai mis assez ? Est-ce qu’elle me plaît ? L’histoire n’est qu’au service de ça », et les chapitres titrés d’un mot : « C’est venu comme ça, dit le romancier. C’est le premier mot que j’ai écrit, « Fille ». Je me suis demandé ce que j’allais en faire. Et je suis allé à la ligne. Je me suis dit qu’il fallait que je trouve une manière de présenter les personnages et j’ai l’impression que ça aide pour comprendre qui parle… » Au royaume des cabossés de la vie, « Marlène » brille de mille feux, de mille ombres. Oui, Philippe Djian a écrit un roman fort, noir, fatal. Et tellement délicieusement ombrageux.

Marlène
Auteur : Philippe Djian
Editions : Gallimard
Parution : 2 mars 2017
Prix : 19,50 euros

 

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