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Le poison : un roman bouleversant, trash et sans concession

  • Écrit par : Catherine Verne

Le poisonPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Le premier roman de Charles Jackson écrit en 1944, qui a inspiré Billy Wilder au cinéma, traite de l'alcoolisme, addiction dont souffrait lui-même l'auteur américain.  On suit le héros tout un week-end à travers l'objectif du romancier comme dans un documentaire trash et sans concession. C'est bien de regard qu'il s'agit ici, dont l'implacable métaphore se file au long de l'exercice de style. Don, l'alcoolique, c'est un bien peu glorieux Narcisse s'écroulant dans sa mare de whisky, c'est Caïn poursuivi par l'oeil de la culpabilité et du jugement dernier, c'est Roquentin traversant la ligne narquoise du miroir qui sépare tout homme des enfers de la Nausée quand plus rien n'a de sens, ou encore le tragédien shakespearien s'offrant à l'oeil cru du public, bref l'homme vulnérablement exposé, jeté au monde c'est-à-dire en représentation. Don a toujours peur d'être vu, de se montrer, terrifié par ce qu'on pensera de lui, à commencer par ceux qu'il aime, ceux qui l'aiment, et puis les gens autour, tous constituant des menaces inconnues, tous ceux qui gravitent à la périphérie de son nombril honteux.

Le talent du romancier entraîne le lecteur à la frange du malaise, non pas celui, transposé et vécu par procuration lointaine, de l'enivrement systématique et pathologique auquel s'adonnent les ivrognes, mais de l'identification brute au personnage singulier ici décrit: il donne à voir un alcoolique se confrontant à lui-même plus encore qu'aux autres en mettant en scène Don pris dans le prisme d'un miroir à facettes, à commencer par celles de son verre dans une giration sans issue. On traverse le miroir, on devient Don, on partage son errance dans le palais des glaces, tantôt exaltée tantôt désabusée, tellement l'auteur nous fait entrer dans sa psyché. On parcourt notamment avec lui, dans sa peau fièvreuse, des kilomètres de bitume ingrat pour se heurter aux grilles désespérément fermées de boutiques d'alcool, et cette seule pérégrination constitue un passage formidable de puissance à ne pas manquer dans le troisième chapitre, cyniquement intitulé "la farce". Tout ce roman, écrit à la troisième personne, s'avère un manifeste d'une intimité bouleversante qui nous parle mieux encore qu'écrit à la première de ce que ressent un alcoolique en proie à sa logique absurde et tyrannique. D'où la forme étourdissante et lancinante que prend l'écriture, s'enroulant au poison qui se distille dans les veines du héros: un zapping incessant et vertigineux où défilent les flashs de souvenirs d'une vie étriquée, des réflexions existentielles, des stratégies à la petite semaine pour trouver l'argent de la prochaine bouteille, des sanglots repentis ou des sursauts de dignité tendre. L'ordinaire d'un alcoolique en somme, toujours répété. Inexorable et bouleversant pour qui veut bien le considérer ("considerare").

Le poison
Auteur: Charles Jackson
Editeur: Belfond
Traductrice: Denises Nast
Parution: 1er septembre 2016
Prix:  17 euros

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