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De si jolies ruines : une virée ethnologique en territoire hollywoodien

  • Écrit par : Catherine Verne

De si jolies ruinesPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Construit comme le montage de rush et de scènes en apparence désordonnés, le roman de Jess Walter nous entraîne dans une virée quasi ethnologique en territoire hollywoodien. La visite commence au bras de Dee Moray, actrice ravissante... et ravissant sur le tournage de Cléopâtre Richard Burton à la sulfureuse Liz Taylor, ce qui lui vaut d'échouer, par l'ironie du "buzz business", sur une côté italienne sans plage et sans transat, du moins à l'époque de son bannissement organisé en coulisses, c'est-à-dire en 1962.

On rencontre en la suivant plusieurs personnages que la Géographie entre New-York et l'Italie tout autant que l'Histoire, de la Seconde Guerre Mondiale à nos jours, semble séparer. Parmi eux, Michael Dean, archétype actuel du producteur de cinéma, obsédé par le profit  et en mal d'histoire à succès, une sorte de "gnome laqué" au visage si revu et corrigé par la chirurgie esthétique qu'on se croirait en sa présence face à "une philippine de neuf ans". Son assistante, Claire Silver, amourachée d'un immature maniaque du sexe avec lequel la communication se borne aux texto laconiques en  dehors des phases de rut. Shane Weeler, un exalté visant le haut de l'affiche avec  son pitch du siècle -une histoire sordide de cannibalisme. Pat, un chanteur râté qui n'a pas connu son père et gravite à distance appliquée loin de sa mère malade. Et, enfin, détonnant avec cette assemblée d'allure fellinienne, Pasquale, cherchant à attirer dans son hôtel perdu dans l'ombre des Cinq Terre italiennes le tout Hollywood, et qui tombera sous le charme de l'actrice citée plus haut, alors qu'exilée de la scène publique, elle débarque sur son port avec la pêche du jour.
La destinée capricieuse de chacun croise celle des autres dans des rencontres improbables très éloignées de la pellicule lisse et donnant lieu à des échanges d'une infinie tendresse ou d'une sombre violence, selon les personnages dont Jess Walter retranscrit cash la vive sensibilité. C'est qu'il est question d'amour, d'amour et encore d'amour sur fond de décors en carton et d'artifices éhontés. Ajoutant au vertige, un défaut d'unité dans le ton et le rythme dit à quel point on prend le parti ici de l'authenticité, sans négocier d'arrangement pour embellir quoi que ce soit de l'histoire croisée d'hommes et de femmes mus corps et âme par le désir de vivre, sans fard et sans concession, et dont la beauté réside dans cette très humaine fragilité. Pour en approcher la complexité, Jess Walter passe d'une forme à l'autre comme un cinéaste multiplie les angles et les caméras, adoptant ici le style d'une pièce de théâtre, là d'un projet de film, changeant de police même en cours de rédaction pour nous donner à lire les notes d'un écrivain. S'essayant à ces exercices de style au long du roman, Jess Walter glisse ce faisant de l'humour à la mélancolie et on trouve au fil de son entrelacs de scènes et d'émotions, un leitmotiv: la beauté, comme atemporelle, celle d'abord de l'actrice Dee Moray qui traverse le livre de bout en bout, celle de lieux encore sauvages comme une certaine côte italienne, et celle des sentiments purs résistant au temps.  
"De si jolies ruines" est tout à la fois un grand éclat d'ironie lancé à l'arrogance des vedettes que produit le show-business , et un hymne émouvant à ce qui peut, loin des projecteurs, à la clarté du franc soleil, en chacun vieillir sans faillir d'amour sincère et d'authenticité épargnée. Avec ce touchant éloge du vrai via l'illusion maîtrisée de la fiction, Jess Walter réussit un tour de force car, parvenus au terme de cette démythification du monde du cinéma, on en vient à douter que ce dernier se soit jamais autrement inspiré que de ce qui lui est ainsi irréductiblement étranger pour imaginer ses "happy end", et qu'il jalouse sans doute à la vraie vie, à savoir la faculté qu'a le hasard de faire naître de belles et immortelles histoires ... sur des ruines boudées même par les guides touristiques.

De si jolies ruines

Editions Fleuve
Date de parution : 21 Août 2014
Auteur : Jess WALTER - Traduit par Jean ESCH
Prix TTC 19,90 €

 


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