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La nostalgie des dragons : la plume d'une vivacité heureuse de l'anthropologue Démosthène Kourtovik

La nostalgie des dragonsPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Le roman "La nostalgie des dragons" est un livre d'histoire. C'est-à-dire racontant une histoire. Une histoire se déroulant sur fond d'Histoire (l'actuelle, sur fond de crise idéologique) voire de Pré-histoire ( sans fond). Présentant des héros bien campés, comme toute histoire de projet romanesque: ici un homme, une femme, avec toute la gamme des rapports qu'on imagine pouvoir les réunir. Et n'est-ce pas tout ce qu'on demande à un roman, que de nous raconter une histoire?

Le charme opère ici d'emblée. L'homme en question est conservateur de musée, la femme commissaire. Il est âgé, elle, toute jeune, et là n'est pas la seule différence anecdotique qui les opposera, car leur rencontre promet dialogues et confrontations épiques. C'est la disparition d'une momie qui provoque leur improbable partenariat. Un total mystère entoure et cette disparition et cette momie. Aussi nos deux acolytes d'infortune vont-ils sillonner à partir de bien maigres pistes, une géographie familière aux Européens, de l'Italie au Danemark, en passant par l'Allemagne et les Balkans, à la poursuite des ravisseurs.
Une divertissante histoire, donc, avec les accents d'un thriller scientifique. Mais on ne lit pas ce roman que pour son histoire, pleine de rebondissements imbriquant petite et grande Histoire, ou pour sa géographie, bigarrée de sites pittoresques, on le goûte pour la plume de l'anthropologue Démosthène Kourtovik, trempée dans une érudition à la Umberto Eco et d'une vivacité heureuse qui vous harponne dès les premières lignes: déboulant dans les pattes des héros comme si on ne s'était jamais quitté, on se trouve propulsé au coeur de l'intrigue sans ces arrêts sur images académiques qui, consensuellement, permettent de s'installer sans heurt dans la lecture en spectateur, car tout s'enchaîne ici à un rythme mimant le mouvement indocile de la vraie vie. Que le titre ne vous y trompe pas: pas d'heroic fantasy ici mettant en scène de vils monstres et autres sortilèges grossiers, on y côtoie plutôt des êtres de chair, d'os, et de bandelettes. Tout s'élabore en subtilité, tant l'ineffable est ce qui caractérise la jaillissement foisonnant de la vie, et servi par un style original qui constitue, s'il en est ici, le vrai charme nostalgique du roman: élégamment traduit par Caroline Nicolas, Démosthène Kourtovik choisit de vous intégrer au plus vif de l'enquête, sans se préoccuper de vous y introduire dans les règles, en complice averti  qu'il serait superflu d'affranchir. On prend ainsi le train sur des chapeaux de roues, régulièrement secoué par la plume énergique du romancier venant vous rappeller à l'ordre de la vigilance.
Ce ton de connivence implicite, à lui seul, fait de "la nostalgie des dragons" une sorte d'objet ami dont on se détache mal, une fois toute l'histoire terminée et la géographie épuisée. Il appartient à cette catégorie de livres qui, une fois reposés, agissent encore sur l'esprit, non pas en l'enchantant de leur histoire, laquelle semble revêtir la fonction de prétexte à l'écriture plus que de finalité,mais bien plutôt en vertu du mystérieux halo dont l'écrivain talentueux l'augmente. Du livre refermé, se dégage cette atmosphère propre au charme inspirant les nostalgies, celui qui, suspendant son inévitable évanescence, embaume encore, pour une durée incertaine, votre chevet -et sans les inconvénients de la momie, dont on sait maintenant que la compagnie domestique la plus débonnaire peut encore nous être ravie par le premier dragon venu, avec les complications auxquelles la fâcheuse éventualité expose.

La nostalgie des dragons
Auteur: Démosthène Kourtovik
Editeur: Actes Sud
Traduction: Caroline Nicolas
Parution: Novembre 2015

 

 

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